Souvenez-vous... quand Conques rejetait les vitraux de Soulages

  • Les vitraux, objets de toutes les polémiques.
    Les vitraux, objets de toutes les polémiques. AFP
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centrepresseaveyron.fr avec AFP

Retour dans le temps. 1994, les vitraux de Soulages s'installent dans l'abbatiale de Conques. Très peu appréciés à l'origine, ils sont aujourd'hui objets de débats animés. S'ils ont convaincu de nombreux Aveyronnais et visiteurs, beaucoup demeurent sceptiques.

En 1994, le village aveyronnais de Conques protestait en découvrant les vitraux abstraits conçus par Pierre Soulages pour l'abbatiale du 11e siècle. Vingt ans plus tard, ses détracteurs admettent qu'ils ont mis en valeur la beauté pure de ce chef-d'oeuvre de l'art roman.

"Des gens s'étaient levés pour l'insulter"

"A l'été 1994, il y avait eu une conférence de M. Soulages au Centre européen d'art et de civilisation médiévale de Conques. Ses vitraux venaient d'être inaugurés et, oh là là, des gens s'étaient levés pour l'insulter", se rappelle Claudine Rudelle, 56 ans, doyenne des guides de l'office du tourisme de Conques. "J'entends encore un monsieur dire "je suis médiéviste" et hurler!"

"Les curés avaient dû enlever de l'église le cahier des intentions de prières parce qu'il était plein de plaintes. Quelqu'un avait écrit : "on se croirait dans un aquarium", se souvient-elle encore. Et des mamies avaient fait des pétitions pour qu'on remette les anciens vitraux colorés posés en 1952, avec leurs personnages de moines.

Une commande publique de Jack Lang qui passait mal

Non, vraiment, le village ne les aimait guère, ces nouveaux vitraux contemporains imposés par une commande publique, à l'initiative du ministre de la Culture Jack Lang : 104 oeuvres uniques, faites d'un verre incolore - "blanc", non transparent mais translucide - que le peintre Pierre Soulages mit des années à mettre au point avec le maître verrier toulousain Jean-Dominique Fleury, pour "que la lumière soit prise dans le verre même" et devienne "émetteur de clarté".

Deux décennies après, à l'heure où Soulages s'apprête à inaugurer un musée à son nom dans sa ville natale de Rodez, la controverse de Conques ne se joue plus qu'en sourdine quand des visiteurs descendent par la rue principale et aperçoivent, de l'extérieur, le chevet nord et ses vitraux semblant alors d'un gris opaque. Des gens demandent: "Mais ils sont où, les vitraux de Soulages ? C'est encore en travaux ?", rapporte l'adjoint au maire de Conques, Bernard Ferrières, 74 ans.

"Je leur dis alors "Allez à l'intérieur, c'est magnifique". Et moi qui n'étais pas très favorable au début, je suis obligé de reconnaître que la pénétration de la lumière met très bien en valeur l'édifice et les chapiteaux". A l'origine puis au fil des siècles, étaient-ce des parchemins huilés ou de très fines feuilles d'albâtre translucide qui obstruaient les fenêtres ? "Nulle trace de cette époque ne permet de lever le doute", écrit le frère Jean-Régis Harmel, résidant au prieuré Sainte-Foy de Conques, dans un fascicule de 2013.

Des visiteurs tantôt réticents tantôt conquis

A notre "époque saturée d'images", le religieux vante le choix fait par Soulages de vitraux non transparents et non figuratifs, qui donnent à voir l'architecture d'origine et sont propices à la méditation. Classée au patrimoine mondial de l'Unesco au titre des chemins de Saint-Jacques de Compostelle, l'abbatiale, l'un des plus édifices romans les plus remarquables, reçoit chaque année des centaines de milliers de visiteurs français et étrangers.

"Une moitié se montre réticente (vis-à-vis des nouveaux vitraux, ndlr), l'autre se laisse conquérir par cette lumière" qui magnifie la beauté du lieu, estime la guide-conférencière Anne Romiguière. Elle conseille de revenir "en nocturne" dans le déambulatoire, quand les projecteurs s'allument face au chevet et que les vitraux se teintent d'orange violent ou de bleu nuit. Au son des orgues, dit-elle, "des pèlerins fatigués tombent en larmes, tellement ça les touche, cette harmonie".

Les cartons des vitraux exposés à Rodez

C'est à Conques que Soulages - né en 1919 à Rodez - eut lui-même une forme de révélation, à 12 ans : "J'ai compris que l'art comptait plus que tout, raconte le peintre abstrait aujourd'hui mondialement connu dans le dossier de présentation du musée à son nom. Autour de moi, il me semblait que tous les gens perdaient leur vie à la gagner. Ils n'étaient pas heureux. Le dimanche, ils avaient des conduites de gens bizarres, presque d'ennui (...) J'ai ressenti qu'une seule chose pourrait remplir ma vie : peindre".

Au musée Soulages - que l'artiste de 94 ans inaugurera le 30 mai - une salle aussi haute que le collatéral d'une église a été spécialement aménagée pour présenter les "cartons" (plaques de bois) sur lesquels il dessina ses vitraux grandeur nature. De quoi révulser les quelques visiteurs de Conques qui, en 2014, se plaignent encore à l'office du tourisme parce qu'ils ne voient qu'"horreur", "gâchis", "aberration" dans "ces fameux vitraux de Soulages dont on fait tout un plat".

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