Directive nitrates : pourquoi les agriculteurs sont en colère

  • En Aveyron, 80 % des eaux de rivières sont estimées bonnes ou très bonnes.
    En Aveyron, 80 % des eaux de rivières sont estimées bonnes ou très bonnes. CP
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Philippe Routhe

Agriculture. Depuis 1991, une directive appelée «nitrate» prise par l’Europe afin de protéger la qualité de l’eau doit être appliquée par les États membres. Ce qui n’est pas le cas partout aujourd’hui. La décision de la France de créer un nouveau plan de «zones vulnérables» a mis le feu aux campagnes.

Depuis quelques semaines, la question des nitrates gratte à nouveau le monde agricole, avec le déploiement d’une nouvelle carte des zones vulnérables. Des zones appelées ainsi car ne répondant pas aux normes réclamées par l’Union européenne en la matière, à savoir le taux de nitrates dans les eaux. Mais la problématique ne date pas d’hier. Elle a été soulevée par l’Union européenne au travers d’une directive parue… en 1991. Et toujours en vigueur aujourd’hui. Avec charge pour chaque État membre de l’appliquer à sa convenance.

Cause principale de pollution

Si les nitrates sont les plus particulièrement visés, c’est parce qu’ils sont la principale cause de pollution des eaux, après les rejets des collectivités locales et l’industrie. Et, qui dit nitrates, dit agriculture. Car ils se trouvent notamment dans les engrais, les effluents d’élevage (fumier, lisier, purin)… L’essentiel du problème des nitrates résultant de l’excès d’azote qui ruisselle sur les terres agricoles vers les rivières.

Les engrais mais pas que...

Si les effluents servent également à nourrir les sols, une fois déposés lors d’épandages, par infiltration, écoulement ou glissement, les nitrates se retrouvent aussi dans les cours d’eau. Mais pas du jour au lendemain. En Bretagne par exemple, on estime qu’en cessant toute activité agricole, il faudrait attendre près de 60 ans pour que le sol rejette toutes ces pollutions. Justement, il faut remonter à près de 60 ans en arrière pour saisir l’origine du problème.

Un problème vieux de 60 ans

Au sortir de la guerre, il est demandé aux agriculteurs de produire énormément afin de répondre aux besoins des populations. "Jusqu’à surpolluer les sols", reconnaissent les agriculteurs. Il fallait demander plus aux sols tout en multipliant les élevages. Provoquant naturellement une importante augmentation des effluents. C’est le résultat de pratiques intensives.

Le monde agricole en a pris conscience. Et réoriente depuis plusieurs années son mode de production. Ainsi les taux de nitrates relevés aujourd’hui n’ont rien à voir avec ceux relevés il y a une vingtaine d’années. Mais cela ne change pas assez vite aux yeux d’une partie des agriculteurs, notamment ceux de la Confédération paysanne, qui prônent "une autre agriculture", et de l’Europe qui ne lâche pas la France sur ce sujet. Comme en témoigne la sanction dont elle a fait l’objet le 4 septembre dernier.

La France condamnée par la Cour de Justice européenne  

Car la France doit faire face à deux contentieux avec la commission européenne, en lien avec la directive de 1991. Selon elle, la France n’a pas assez de zones vulnérables et n’est pas assez dynamique pour empêcher l’eutrophisation marine (la baisse du taux d’oxygène provoquée par les nitrates et favorisant notamment la prolifération des algues vertes). Bref, elle est trop laxiste sur le sujet selon l’UE. Du coup, en juillet 2014, le ministère de l’Écologie a pris une mesure destinée à mettre un terme définitif à ce contentieux en proposant, entre autres mesures, un abaissement à 18 mg/l le taux de nitrates, sur l’ensemble de l’hexagone. Faisant naître de nouvelles zones vulnérables. 

De dix à cent soixante-dix communes en Aveyron

"C’est une mesure sur la base du principe de précaution qui a été prise par le ministère de l’Écologie, pour éteindre le contentieux avec l’Union européenne", confirme-t-on à la Dreal (1) et à la Draaf (2). Mais cela n’est pas du tout au goût d’un grand nombre d’agriculteurs. Notamment en Aveyron où d’importants efforts ont déjà été réalisés. Alors qu’à l’échelle du Bassin Adour-Garonne, 43% des eaux sont estimées bonnes ou très bonnes, ce taux s’élève à plus de 80% pour le département de l’Aveyron, situé en tête de bassin. Cette qualité de l’eau se traduisait notamment, en 2013, par le passage de 100 à 10 communes, essentiellement de l’Ouest-Aveyron, dans la carte de zones vulnérables du département. Mais depuis le nouveau plan de zonage, ce sont désormais 160 communes supplémentaires et près de 3800 exploitations qui seraient concernées. 

Un investissement de 5 000 à 40 000€

Un bond en arrière qui fait surtout bondir de colère les agriculteurs. Car qui dit classement en zone vulnérable dit obligation de mises aux normes, nécessitant des investissements conséquents. Quand bien même les tests effectués ces dernières années révèlent, dans presque tous les cas, des taux inférieurs aux 18 mg/l aujourd’hui réclamés."Ce ne sont que des préconisations, rien n’est encore officiel", insiste-t-on du côté des collectivités régionales. Raison pour laquelle de nombreuses mobilisations sont prévues ces temps-ci dans les zones concernées.

(1)Dreal: Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement. (2)Draaf: Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt.

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