"L'agriculture française hérite d'un schéma dépassé"

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    "L'agriculture française hérite d'un schéma dépassé" José Torres
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Centre Presse Aveyron

Pour le sociologue du monde rural François Purseigle, l'agriculture française a "loupé le coche" en ratant la mutualisation des investissements et l'anticipation sur l'évolution des normes environnementales.

Pour le sociologue du monde rural François Purseigle, l'agriculture française a "loupé le coche" en ratant la mutualisation des investissements et l'anticipation sur l'évolution des normes environnementales. "Aujourd'hui, elle hérite d'un schéma dépassé et ceux qui en paient le prix, ce sont les exploitants", a-t-il expliqué alors que les agriculteurs déferlent jeudi sur Paris en tracteurs.

Est-ce la fin d'un modèle français d'agriculture familiale ?

 "Certainement pas. Elle a montré son efficacité, pas forcément en termes de compétitivité sur certains marchés globaux, mais au plan social et territorial: c'est grâce à l'agriculture familiale qu'on a les paysages et les territoires qu'on connaît aujourd'hui. Mais c'est plus difficile de la faire fonctionner avec des jeunes générations -enfants, conjoints- qui n'ont pas forcément envie de s'imposer ces contraintes.

L'agriculture familiale a tenu au prix de sacrifices, mais le contexte a véritablement changé. On voit aussi que les politiques ont du mal à construire un projet, une ambition programmatique dans cet univers éclaté (500.000 exploitations), difficile à accompagner. À côté de cet univers familial émergent des formes d'entreprises qui sont beaucoup plus performantes sur certains marchés, avec davantage de capacités d'investissements."

Est-ce la raison du malaise qui ébranle l'agriculture française et semble épargner les voisins européens ?

"L'agriculture française n'a peut-être pas pris le virage à temps. On n'a pas assez joué la carte de la mutualisation des investissements, de l'actionnariat, même sous forme d'une épargne citoyenne, ni recherché l'économie d'échelle qui peut passer par une forme d'association moins familiale.

Elle n'a pas su non plus anticiper la réflexion des sociétés contemporaines sur la normalisation environnementale et ce sont les exploitations qui en paient le prix. Dans une exploitation allemande, dès les années 90, l'environnement ne faisait plus problème, surtout à l'Ouest. À un moment donné, on a loupé le coche: entre l'État et les agriculteurs, chacun a pu penser que l'autre allait construire un projet sans passer par une réflexion commune et, aujourd'hui, le mode du conflit a pris le pas." 

Une nouvelle diminution du nombre d'exploitants est-elle inéluctable ?

"A-t-on toujours besoin de chefs d'exploitation dans les territoires ? C'est une vraie question. En un siècle, on a déjà perdu dix fois le nombre d'agriculteurs et les démographes estiment qu'on passera en 2020 à 320.000 exploitants. Même si le nombre de départs à la retraite va commencer à ralentir, on a encore aujourd'hui trois départs pour une installation. Globalement, les Français restent attachés à leurs agriculteurs, mais dans une forme d'incompréhension : les consommateurs sont coresponsables du malaise actuel, ils se sont arrêtés dans leur imaginaire à l'image du petit paysan des années 60 ou 70 chez lequel ils passaient leurs vacances, en oubliant le tas de fumier sur le pas de la porte. Ils sont amnésiques d'une période qui a vu justement l'agriculture se moderniser."

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