Ehpad : Michel Bras concocte des alternatives aux repas mixés pour «réveiller les papilles»

  • Michel Bras.
    Michel Bras.
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Centre Presse / AFP

Ranger le mixeur au placard pour remettre les saveurs au cœur des assiettes des personnes âgées dépendantes: dans une maison de retraite de la Loire, on prend le pari qu’une alimentation avec des morceaux redonne, sans danger, le «plaisir de manger». A la Maison d’Annie, établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) situé dans la campagne stéphanoise, il est bientôt midi. En cuisine, on s’active pour préparer les repas des 80 résidents, dont une vingtaine de très dépendants qui ont du mal à mâcher et à avaler, souvent à cause de maladies neurodégénératives.

Au menu pour eux: betteraves ciselées, céleri rave frit et rôti de veau persillé, lit de compote avec fruits coupés et biscuit. Il y a dix-huit mois, ces derniers consommaient leurs plats mixés. «C’était pas la fête, les repas n’étaient plus franchement un plaisir», décrit Christopher Fanget, qui dirige la restauration, en remplissant des verrines de spéculoos.

Cette résidence fait partie des quatre sites pilotes d’un programme nutritionnel lancé par le groupe de restauration collective Sodexo: une alternative au tout-mixé avec des menus composés par le chef trois étoiles, Michel Bras. «Nous n’étions pas à l’aise avec le tout-mixé, pas fiers de donner quelque chose que nous ne mangerions pas», explique Florence Vichi, directrice de l’établissement, qui a réduit le nombre de mixés de 20 à zéro. Le bien-manger est une gageure pour les institutions. Avec l’âge, l’odorat et le goût se modifient, l’appétit en pâtit et des problèmes de dénutrition peuvent apparaître. Face aux risques de fausses routes obstructives, et donc d’étouffement, 30 à 40% des repas sont servis mixés. Or, «cela n’est pas nécessairement adapté et le bénéfice est incertain», souligne Mme Vichi, opposée à «une généralisation».

Marchand de bonheur

Selon Yann Tannou, orthophoniste spécialisé dans les troubles de la déglutition qui a participé à l’élaboration du programme, baptisé «Harmonie», plus de 60% des fausses routes ont lieu sur du semi-solide ou du mixé. Alors terminé le mixeur, les cuisiniers ont sorti les couteaux pour élaborer les recettes de Michel Bras. «Convaincu» qu’une «belle assiette et de la convivialité agissent sur l’appétit et le moral», le chef aveyronnais a réintroduit des aliments comme la brioche, le saucisson lyonnais, les fromages du terroir, le foie gras, ou les frites. «Ce n’est pas une cuisine gastronomique mais sincère, pour réveiller les papilles et stimuler l’appétit et la mémoire», décrit-il, se disant «marchand de bonheur».

Pour garantir la sécurité, des règles doivent néanmoins être respectés: conserver une texture glissante et cohésive favorisant la déglutition, couper en petits morceaux pour éviter l’obstruction, et ne pas mélanger solide et liquide. «M. Bras a réussi à conserver le goût, c’est tout de même mieux maintenant», commente dans la salle à manger avec vue panoramique Marie-Claire, une résidente de 86 ans atteinte de la maladie de Parkinson, «lassée du haché». «La plupart des résidents ont du mal à verbaliser ce qu’ils ressentent, mais les assiettes reviennent vides, ils en redemandent et raclent le plat avec la fourchette», constate M. Fanget.

De fait, l’indicateur quotidien des déchets alimentaires et la consommation de compléments nutritionnels oraux (boissons énergétiques, eaux gélifiées) ont baissé, et la dénutrition des résidents réduite de 36%, selon Mme Vichi. La dénutrition touche deux millions de personnes en France, dont 270.000 résidents de maisons de retraite, selon des statistiques du Collectif de lutte contre la dénutrition.

«La meilleure prévention, c’est de maintenir le plaisir», explique Caroline Rio, diététicienne au Centre de recherche et d’information nutritionnelle (Cerin), formatrice en gériatrie, plaidant pour des menus «moins standardisés, établis au cas par cas» et davantage de moyens dédiés à l’alimentation. L’achat de produits pour élaborer les repas est estimé à quatre euros par jour et par résident d’Ehpad alors qu’il faudrait au moins six euros, selon Mme Rio. Le coût journalier du programme Harmonie n’a pas été communiqué. Pour les résidents, les tarifs restent inchangés.

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