Disparition de la biodiversité en Aveyron : « Pour l’instant le mur tient, mais jusqu’à quand ? »

  • Longtemps présent en Aveyron, l’oedicnème criard est aujourd’hui invisible sur ses anciennes aires de groupement.
    Longtemps présent en Aveyron, l’oedicnème criard est aujourd’hui invisible sur ses anciennes aires de groupement.
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Centre Presse

La biodiversité a pris du plomb dans l’aile. Selon les observations du CNRS et du Muséum d’histoire naturelle, environ un tiers des oiseaux ont disparu des campagnes ces vingt dernières années. Nous avons rencontré Rodolphe Liozon, directeur de la LPO Aveyron. Un entretien un peu alarmant.

Les oiseaux disparaissent des campagnes à vitesse grand V, selon les observations du CNRS et du Muséum d’histoire naturelle. Une tendance qui se vérifie aussi dans la campagne aveyronnaise ?

Nous avons quelques données sur le sujet et beaucoup « d’impressions du terrain ». Sur les espèces que l’on observe plus précisément, on remarque par exemple une quasi-disparition de l’œdicnème criard. De même que de la chouette effraie dans des aires de répartition où l’on pouvait encore les observer voilà quelques années. Idem pour les hirondelles de fenêtre ou les hirondelles rustiques qui, si elles n’ont pas disparu, voient leur population décliner au niveau européen avec respectivement une baisse de population évaluée à 33 et 41 %. Des données qui correspondent aux impressions des « observateurs ». Beaucoup se désolent chaque année de ne plus voir autant d’hirondelles que par le passé. Ils ont raison quand on compare ces impressions à la réalité.

Comment l’avez-vous remarqué ?

Nous recueillons dans le département, environ 100 000 observations par an sur la base de données Faune Tarn-Aveyron. Des observations « opportunistes », sans protocole particulier, qui nous sont transmises via notre site internet. Nous avons également en Aveyron 10 carrés « STOC-EPS » qui permettent d’alimenter les données du CNRS. Et 41 jardins suivis dans le cadre de l’opération « Oiseaux des jardins » dont les propriétaires comptabilisent précisément les espèces en présence. Ceci nous permet aujourd’hui de parler d’un déclin de ces espèces mais il ne s’agit malheureusement que de la partie immergée de l’iceberg.

C’est-à-dire ?

En plus de cette étude, une autre, plus ancienne, a démontré l’incroyable dégradation de la biomasse dans des milieux protégés. Cette étude, allemande, démontre que la population d’insectes sur ces territoires a diminué de 67 % entre 1990 et 2007. Ceci, je le répète, sur des aires protégées donc privilégiées ! Et là où c’est inquiétant, c’est qu’aucun facteur extérieur « localisé » n’a permis d’expliquer ce déclin. C’est très inquiétant. Il suffit d’ailleurs de rouler de nuit avec sa voiture pour en faire l’expérience. Rares sont aujourd’hui les automobilistes à retrouver des insectes sur leur pare-brise !

Quels sont les facteurs de cette extinction ?

C’est une diminution lente et progressive mais bien réelle. Et c’est tout aussi alarmant : plus du tiers des oiseaux ont disparu ces vingt-cinq dernières années. Et c’est une diminution généralisée à l’échelle nationale et européenne. L’intensification de l’agriculture et le recours aux pesticides expliquent évidemment ce déclin même s’il faut le reconnaître que l’agrochimie n’est, heureusement, en Aveyron pas aussi importante que dans les plaines de la Beauce. Je pense aussi sur ce point qu’il y a une sensibilisation à faire auprès des particuliers...

Il y a aussi la problématique liée à l’artificialisation de sol et à la pression foncière sur la nature. On sait par exemple qu’une aire de regroupement de l’Oedicnème criard était située à la sortie de Sébazac, là où est aujourd’hui implanté l’enseigne Décathlon... Pour certaines espèces, comme les hirondelles par exemple, on remarque également une disparition de l’habitat. Rares sont aujourd’hui les granges « à l’ancienne », ouvertes, où les hirondelles avaient l’habitude de nicher. Et puis elles se nourrissent de petits insectes volants, qui ont pratiquement disparu dans les campagnes.

En tant que grand défenseur de la nature quel est votre état d’esprit ?

Quarante après la première candidature écologiste à la présidentielle, les intuitions et avertissements de René Dumont sont toujours d’actualité. Les choses ne vont pas dans le bon sens, et ce malgré la prétendue prise en compte de la problématique par les particuliers et les décideurs. Une prise en compte de façade selon moi. J’ai souvent à l’esprit l’image d’un mur sur lequel on enlève une pierre par-ci, par-là. Pour l’instant le mur tient mais jusqu’à quand ? La crainte est aujourd’hui de voir tout d’effondrer.

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