Turquie: Erdogan joue la carte de la victimisation

  • Des partisans du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan pris entre son portrait et le drapeau national turc, le 9 juin 2013 à Ankara
    Des partisans du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan pris entre son portrait et le drapeau national turc, le 9 juin 2013 à Ankara AFP - Adem Altan
  • Sur la tribune se tient le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, le 9 juin 2013 à Ankara
    Sur la tribune se tient le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, le 9 juin 2013 à Ankara AFP - Adem Altan
  • Un manifestant hostile au gouvernement d'Erdogan est en état de choc après des affrontements avec la police, à Ankara, le 9 juin 2013
    Un manifestant hostile au gouvernement d'Erdogan est en état de choc après des affrontements avec la police, à Ankara, le 9 juin 2013 AFP - Marco Longari
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AFP

Face aux manifestations qui remettent en cause son autorité depuis onze jours, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a choisi de jouer la carte de la victimisation, qui lui a autrefois réussi mais semble aujourd'hui éculée et traduit son affolement, estimaient lundi les analystes.

Dimanche, journée marathon au cours de laquelle il a animé pas moins de six meetings, M. Erdogan a promis à ses partisans qu'il tiendrait bon face aux "pillards" et autres "extrémistes" qui réclament sa démission, et qu'il accuse d'être manipulés par l'opposition ou de mystérieuses puissances comme "le lobby des taux d'intérêt".

"La nation nous a amenés au pouvoir et c'est elle seule qui nous en sortira", a-t-il déclaré devant la foule qui scandait "La Turquie est fière de toi !".

Le Premier ministre islamo-conservateur a aussi fait un rapprochement entre les troubles actuels et l'époque où l'armée, en gardienne des institutions laïques de la Turquie, intervenait sans ciller dans la vie politique (elle a renversé quatre gouvernements entre 1960 et 1997).

"Aujourd'hui, nous sommes dans la situation du 27 avril 2007", a-t-il déclaré dimanche à l'aéroport d'Ankara. Il faisait allusion à une injonction publiée à cette date par l'état-major, qui avait menacé le gouvernement d'intervention s'il ne faisait pas respecter le principe de la laïcité, puis provoqué des manifestations géantes contre le pouvoir.

Cette intrusion des militaires avait été lourdement sanctionnée par les électeurs aux législatives de juillet 2007, le Parti de la justice et du développement (AKP) de M. Erdogan recueillant 47% des suffrages.

"Erdogan joue la carte du martyr. Ça a toujours bien fonctionné pour lui dans le passé", estime Amberin Zaman, éditorialiste réputée du quotidien libéral Taraf. "Il se dépeint comme la victime de soit-disant forces obscures qui essaient de l'affaiblir et veulent faire replonger la Turquie dans les jours sombres".

Le Premier ministre entend tirer les bénéfices de son coup politique aux municipales de mars 2014 et à l'élection présidentielle, sans doute en août de la même année, pour laquelle sa candidature est attendue.

Incompréhension

Mais cette fois, M. Erdogan est peut-être en retard d'une bataille, d'autant que c'est lui-même qui a mis l'armée et l'establishment partisans de laïcité au pas ces dernières années à l'occasion de retentissants procès pour complot, selon Mme Zaman.

"Quand on regarde les manifestants, c'est presque comique de les définir comme il le fait (...) Parler d'un gouvernement élu démocratiquement face à des soit-disant putschistes, ça ne tient pas debout", affirme l'analyste.

"Erdogan n'a aucune capacité à comprendre ce qui est en train de se passer", surenchérit Cengiz Aktar, politologue à l'université stambouliote de Bahçesehir.

Il ne comprend pas ce mouvement spontané issu des classes moyennes et éduquées des grandes villes, qui rejettent son autoritarisme, parce qu'il "n'a jamais connu une contestation pareille. Jusque-là, la contestation était celle, classique, des kémalistes", l'élite au pouvoir, défendant bec et ongle ses prérogatives face à la classe montante de l'AKP, indique M. Aktar.

Pour Nuray Mert, politologue à l'université d'Istanbul, l'attitude du Premier ministre va au-delà d'une compréhension erronée de la situation et traduit un réel désarroi.

"Cette fois, il a réagi d'une manière très anormale. Je ne sais pas si on a jamais vu dans le monde un Premier ministre faire six allocutions en un jour. C'est parce qu'il se sent menacé. Avec l'intérêt qu'a manifesté la presse internationale, il a cédé à la peur de sa propre fin prochaine", commente Mme Mert.

L'universitaire en veut pour preuve les références récentes que M. Erdogan a faites aux anciens Premiers ministres libéraux Adnan Menderes, pendu à l'issue d'un coup d'Etat en 1960, et Turgut Özal, dont la mort suspecte en 1993 a donné lieu à l'ouverture d'une enquête pour empoisonnement.

"Il s'est passé beaucoup de choses dans ce pays, à certaines époques on a pendu, on a empoisonné", a déclaré le chef du gouvernement le 3 juin.

"Il y a (...) l'idée de grands leaders turcs qui travaillent pour le bien de la Turquie, mais qui sont anéantis par des ennemis du pays à l'intérieur et à l'extérieur du pays. Clairement, (Erdogan) a cette mentalité, et ça revient dès que les choses tournent mal", explique Mme Mert.

Source : AFP

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