Mongolie: la course infernale des enfants-jockeys

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AFP

Juste avant d'être hissé sur sa monture la semaine dernière pour une longue course au galop à travers la steppe mongole, le jeune Baasanjav Lkhagvadorj avait demandé à son père un baiser porte-chance.

Quelques minutes plus tard, il se tuait en tombant de cheval, à l'âge de sept ans: les enfants-jockeys qui concourent au festival du Naadam, ouvert jeudi, prennent tous les risques, trop de risques.

Aussi cette année, le festival national est-il marqué par la controverse autour des dangers que prennent ces enfants et des mesures à prendre pour les préserver de blessures graves ou de la mort.

Le cheval est au coeur de la culture mongole --plusieurs dizaines de mots existent pour décrire la couleur de sa robe-- au point que les jeunes Mongols apprennent à monter presque en même temps qu'à marcher.

Les courses de chevaux sont l'un de "trois sports virils", avec la lutte et le tir à l'arc, qui animent les célébration du Naadam, qui remontent au 13e siècle sous Gengis Khan.

Mais avec une distance à parcourir au galop allant jusqu'à 28 kilomètres, selon l'âge des chevaux, les courses mongoles sont sans doute les plus longues du monde, quatre fois la distance du Grand National de Grande-Bretagne, plus de 10 fois celle du Grand prix d'Amérique à Vincennes (France).

Survivance du passé guerrier

Elles sont une survivance du passé guerrier du pays, quand les cavaliers de Gengis Khan parcouraient d'immenses distances, jusqu'au coeur de l'Europe.

Robuste, le cheval mongol est fameux pour son endurance, mais il est tellement sollicité dans ces courses que la préférence va aux enfants-jokey pour leur légèreté. Ils sont 30.000 à concourir chaque année.

Selon une étude du ministère de la Santé, 326 ont été traités l'an dernier en traumatologie à Oulan Bator pour des chutes de cheval, soit 222 de plus qu'en 2010. Une progression spectaculaire qui tient peu compte des accidents dans les campagnes, rarement comptabilisés.

La mort du petit Lkhagvadorj la semaine dernière était la troisième d'un enfant depuis le début de l'année, selon Baljinnyam Javzankhuu, de l'Agence nationale pour l'enfance (ANE), qui chiffre à plus de 20 les décès d'enfants-jockeys ces 10 dernières années.

"Les compétitions sont devenues très cruelles", regrette-t-elle.

En plus de celle, officielle, du Naadam, nombre de Mongols fortunés --dont des hommes politiques et des députés-- se sont lancés dans l'organisation de courses à peine réglementées --et où les paris, bien qu'interdits, ont cours-- en particulier depuis la libéralisation consécutive à l'avènement de la démocratie en 1990.

Ces courses privées se déroulent y compris lors de l'hiver glacial où les conditions sont encore plus risquées. Mais les paris peuvent y atteindre 60.000 dollars, à l'heure où le pays connaît un boom économique sans précédent grâce à ses immenses richesses minières.

Les enfants-jockeys sont engagés pour le prix d'une bicyclette, ou de quelques livres d'école, ou pour 150.000 tugriks, l'équivalent de 100 dollars. Et souvent, ils ne sont pas assurés, contrairement au réglement, selon l'ANE.

Les chevaux, eux, sont assurés pour plusieurs millions de tugriks.

Casques et équipements de protection, également obligatoires en principe, sont régulièrement ignorés.

L'un des trois commissaires nationaux aux droits de l'homme, Mme Purev Oyunchimeg, veut une loi au Parlement rangeant les enfants-jockeys dans la catégorie du travail infantile et repoussant l'âge minimum de sept à neuf ans pour les courses.

"Les riches doivent cesser de faire des enfants des victimes de leurs loisirs", dit-elle des courses privées, avant d'accuser: "Quand les enfants meurent, (les familles) ne reçoivent aucune compensation".

Une loi est en préparation interdisant aux enfants de moins de 16 ans l'accès aux courses privées.

“Les courses de chevaux traditionnelles de la Mongolie sont l'événement le plus démocratique, le plus libre", a déclaré à l'AFP le ministre de la Culture, des Sports et du Tourisme, M. Tsedevdamba Oyungerel.

"Mais quand l'argent intervient, les courses deviennent férocement compétitives et donc dangeureuses pour les enfants", dit-il.

Aux yeux des défenseurs de la tradition, ces objections importent peu. Pour Adya Bayarmagnai, conseiller auprès de l'Union des entraîneurs équestres de Mongolie, lui-même propriétaire et entraîneur, il ne s'agit que d'un "petit pourcentage" d'enfants.

“Les enfants tombent de cheval, c'est le seul moyen d'apprendre à monter", dit-il.

Source : AFP

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