Chemins de Saint-Jacques : quand les voies du Seigneur deviennent rentables...

  • Le chemin de Saint-Jacques
    Le chemin de Saint-Jacques JAT/CP
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Centre Presse Aveyron

Célèbre par delà les frontières, le mythique tracé du chemin de Saint-Jacques attise la curiosité et parfois les convoitises... Reportage en Aveyron. 

Saint-Chély-d’Aubrac: sa poste, son école élémentaire, son médecin, sa gendarmerie... Autant de services pour un village de 545 habitants, cela a de quoi surprendre dans ce département touché de plein fouet par la désertification. "On a la chance d’être situé sur l’itinéraire menant à Saint-Jacques-de-Compostelle. Depuis 30 ans, on n’a pas perdu d’habitants et on a même pu garder l’école", explique le maire Jean-Claude Fontanier avec fierté. Le village est situé sur la via podiensis, un itinéraire partant du Puy-en-Velay et balisé en tant que chemin de grande randonnée (GR65) au début des années 80. Sa fréquentation, en hausse d’année en année, attise les convoitises. "Au départ, aucune commune ne réclamait d’être sur le tracé mais aujourd’hui, beaucoup aimeraient bien le faire dévier en leur faveur et tirer profit de cette manne économique indéniable", dit l’édile.

"On prend parfois le pèlerin pour un porte-monnaie ambulant"

Et pour cause: pas moins 25 000 pèlerins français et étrangers défilent chaque année sur la place du village, qui compte aujourd’hui pléthore de gîtes d’étape et chambres d’hôtes. Cette popularité entraîne des dérives, comme l’invasion de panneaux publicitaires, souvent placardés illégalement le long de cette voie bucolique. Ou l’apparition incongrue de distributeurs de boissons gazeuses, campés en pleine nature, comme c’est le cas en Espagne. Sur ce mythique tracé, la concurrence économique est telle que certains hébergeants n’hésitent pas à aller directement démarcher le marcheur sur son parcours.

"On prend parfois le pèlerin pour un porte-monnaie ambulant. Dans ces conditions, le message de spiritualité porté par le chemin est brouillé", estime Sébastien Pénari, chargé de la mise en valeur de cet itinéraire au sein de l’Association de coopération interrégionale (ACIR), créée à l’initiative de la Région Midi-Pyrénées. Les "cheminants" eux-mêmes évoquent toujours la route avec ferveur. Mais, leur exaltation exprimée, ils déplorent le mauvais accueil de certains marchands du temple qui "refusent de donner gratuitement un verre d’eau" ou font payer "à un prix exorbitant un simple matelas troué par les ressorts". Les pèlerins en prennent eux-mêmes pour leur grade. Leur recherche du dénuement peut confiner à la pingrerie, disent ceux qui vivent du chemin.

Ambiance western à Livinhac

L’esprit pèlerin en prend encore un coup sur la coquille quand certains tenanciers utilisent des méthodes pas très catholiques pour éliminer la concurrence. Pour Thérèse Wiart-Robertson, qui tient un gîte d’étape à Livinhac-le-Haut, la coupe est pleine. "On a arraché ma pancarte publicitaire, volé mes chats, fait courir de fausses rumeurs sur mon établissement", énumère cette professeure de lettres à la retraite, qui se dit prête à tout lâcher. Elle dépeint dans le village une ambiance de western où "chacun est prêt à se tirer entre les pattes". Tours-opérateurs proposant des "circuits clé en main", services de portage de bagages "pour voyager léger", ou produits dérivés à gogo, l’explosion de services attachés au tourisme de masse amène aussi chez certains "jacquets" (pèlerins) un changement d’état d’esprit.

Ainsi, le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle ne se fait plus toujours d’une traite, en solitaire, mais par petites portions, en bande, parfois accompagnée d’une voiture et d’un chauffeur chargé de réserver pour le groupe les lits des dortoirs dans les hébergements avant l’arrivée des autres marcheurs. M. Pénari met en garde contre le risque de "déflorer la poésie du chemin". Si l’itinéraire "bascule sur la route de randonnée lambda et perd son caractère exceptionnel, l’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco n’aura un jour plus lieu d’être", prévient-il.

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