Un Français repousse les limites de la littérature au Pakistan

  • Julien Columeau fume une cigarette dans une librairie de Lahore au Pakistan, le 20 janvier 2014 Julien Columeau fume une cigarette dans une librairie de Lahore au Pakistan, le 20 janvier 2014
    Julien Columeau fume une cigarette dans une librairie de Lahore au Pakistan, le 20 janvier 2014 AFP - Arif Ali
  • Julien Columeau fume une cigarette dans une librairie de Lahore au Pakistan, le 20 janvier 2014
    Julien Columeau fume une cigarette dans une librairie de Lahore au Pakistan, le 20 janvier 2014 AFP - Arif Ali
  • Julien Columeau fume une cigarette dans une librairie de Lahore au Pakistan, le 20 janvier 2014
    Julien Columeau fume une cigarette dans une librairie de Lahore au Pakistan, le 20 janvier 2014 AFP - Arif Ali
Publié le
AFP

Dans un cimetière de Lahore, sur la tombe d'un poète inconnu de l'Occident, se recueille le Français Julien Columeau, passionné de poésie et de langues étrangères devenu une figure de proue de la nouvelle littérature en ourdou, la langue du Pakistan.

Ce Français a abordé le "pays des purs" au début des années 2000, et a depuis injecté une dose de fraîcheur et d'audace dans une littérature tristement négligée, avec la publication de trois romans et recueils.

Car qui aujourd'hui encore étudie l'ourdou dans les facultés de lettres orientales? La faveur y va au mandarin et à l'arabe, et peut-être à l'hindi....

Originaire de Marseille, Columeau était parti pour l'Inde en 1993 afin justement de se consacrer à l'hindi, mais déchante: il juge cette langue trop bureaucratique et s'enfonce plutôt dans l'ourdou du rival pakistanais.

Dix ans plus tard, le Français à la dégaine de Gainsbourg s'embarque pour le Pakistan à titre de traducteur pour la Croix-Rouge tout en dévorant la littérature ourdoue devenue la langue de sa propre prose.

Après le tremblement de terre de 2005 au Cachemire, l'une des pires catastrophes naturelles de l'histoire du pays, le plus pakistanais des poètes français publie son premier recueil de nouvelles: "zalzala" (séisme).

"Ma première tentation était d'utiliser un pseudonyme de façon à ne pas me retrouver dans la situation où les gens liraient mon roman simplement pour savoir comment un étranger écrit en ourdou", se souvient-il.

"Et puis quelqu'un m'a dit +ben non, qu'est-ce que tu as à cacher? publie-le sous ton propre nom, c'est absolument ridicule+. Donc, il y a eu une sorte de publicité qui a été faite autour de ça."

- Baudelaire et le Pakistan -

Désormais, il n'est plus seulement "le Français qui écrit en ourdou". Après des années à vivre entre l'Inde et le Pakistan, Julien fait partie du paysage local, passant ses soirées à débattre de littérature avec les auteurs du sous-continent.

Et c'est au contact de l'oeuvre de Saghar Siddiqui, un poète vagabond des années 50 devenu ascète après des années de gloire, qu'il trouve sa propre voie.

"Il est extrêmement important pour moi, j'ai l'impression que je lui dois tout. Et c'est pour ça que je viens régulièrement ici pour lui rendre hommage, pour lui parler", lance le Français de 41 ans sur la tombe du poète pakistanais.

"Parfois, quand j'ai des crises d'inspiration, je viens lui parler ici et ça marche toujours", assure Julien, qui a fait de Saghar le personnage central de son premier roman en ourdou.

"Je voulais savoir pourquoi il est devenu +malang+ (un mystique vagabond) malgré le fait qu'il ait été un poète acclamé", dit-il.

En quête du poète vagabond, mystique, Julien Columeau s'est aussi consacré à Meera Ji, un homme de lettres fasciné par les poètes français Charles Baudelaire et Stéphane Mallarmé.

Dans son roman "Meera Ji", Julien Columeau évoque des rapports sexuels et la consommation excessive de drogue de manière assez explicite, une approche nouvelle dans cette littérature tissée de suggestions et de sous-entendus.

"Même nos écrivains locaux restent dans certaines limites lorsqu'ils veulent s'exprimer franchement. Julien, lui, écrit de façon si audacieuse, que parfois, j'ai peur que ses livres soient interdits", explique Intizar Husain, doyen de la littérature pakistanaise âgé de 90 ans.

"Sa manière de s'exprimer va bien au-delà de ce que nous évoquons d'habitude, et s'inscrit dans la lignée de Manto", le plus grand poète pakistanais du 20e siècle, dit-il.

- La mondialisation à l'envers -

Langue au carrefour de l'arabe, du persan, du turc et de l'anglais, l'ourdou compte une riche tradition poétique, mais cette littérature décline actuellement au Pakistan tout en restant prisée chez une partie de la classe moyenne.

Au cours de la dernière décennie, des auteurs pakistanais ont réussi à faire connaître leur pays, et eux-mêmes, à l'étranger en publiant en anglais comme Mohsin Hamid, couronné pour "A Reluctant Fundamentalist" (L'intégriste malgré lui) et Mohammed Hanif pour "A case of exploding mango" (Attentat à la mangue).

Le dernier recueil de nouvelles de Julien Columeau se veut une plongée dans les conflits sociaux complexes du Pakistan avec des personnages éclectiques: un insurgé qui devient proxénète, un imam perdu en Amazonie où il voulait convertir l'autochtone à l'islam, et un jeune baloutche qui migre en France.

"Personne ne comprend les cultures souterraines du Pakistan comme lui", commentait d'ailleurs récemment Mohammed Hanif, à propos de ce recueil en ourdou qu'il juge "captivant".

"Les observations de Julien sur la société pakistanaise, sa façon de la comprendre et de l'exprimer, c'est quelque chose de fascinant pour nous", renchérit son éditeur Amjad Saleem.

A l'heure de la mondialisation, où plusieurs jeunes auteurs rêvent d'écrire en anglais ou dans l'une des autres grandes langues européennes, Julien Columeau s'enfonce en sens contraire, hors des sentiers battus.

"Et j'encourage les gens à suivre cette voie", souffle ce Français qui dit désormais penser en ourdou.

Source : AFP

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