"Tank Man", l'inoxydable icône de Tiananmen

  • Le 6 juin 1989, les tanks et les soldats de l'Armée de libération populaire chinoise investissent l'avenue stratégique de Chang'an menant à la place Tiananmen à Pékin, après avoir écrasé dans le sang la rebellion des étudiant
    Le 6 juin 1989, les tanks et les soldats de l'Armée de libération populaire chinoise investissent l'avenue stratégique de Chang'an menant à la place Tiananmen à Pékin, après avoir écrasé dans le sang la rebellion des étudiant AFP/Archives - Manuel Ceneta
  • Le 9 juin 1989, les tanks et les soldats de l'Armée de libération populaire chinoise restent positionnés sur la place Tiananmen à Pékin, quelques jours après la répression sanglante de la rebellion des étudiants pro-démocratie
    Le 9 juin 1989, les tanks et les soldats de l'Armée de libération populaire chinoise restent positionnés sur la place Tiananmen à Pékin, quelques jours après la répression sanglante de la rebellion des étudiants pro-démocratie AFP/Archives - Catherine Henriette
  • "Tank Man", le rebelle anonyme de la place Tiananmen
    "Tank Man", le rebelle anonyme de la place Tiananmen AFP - A. Leung/J. Saeki
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AFP

C'est un manifestant chinois mondialement célèbre et pourtant demeuré anonyme: "Tank Man", l'énigmatique "Homme de Tiananmen", incarne depuis un quart de siècle le symbole universel de la non-violence face à la répression armée.

"Tank Man", c'est aussi une photographie emblématique du XXe siècle, une image historique, inoubliable, qui continue d'être reproduite, copiée, détournée, parodiée. Malgré l'implacable censure du régime communiste chinois.

Le 5 juin 1989 peu avant midi, au lendemain de l'écrasement dans le sang du Printemps de Pékin, cet homme, jeune, a osé bloquer la progression d'une longue colonne de chars de l'Armée populaire de libération.

Seul, vêtu d'une chemise blanche et d'un pantalon sombre, un sac dans chaque main, il s'est campé au milieu de l'immense avenue de la Paix éternelle qui longe la place Tiananmen, débarrassée de ses étudiants rêvant de démocratie.

A plusieurs reprises, le char de tête essaie de contourner le manifestant. Mais à chaque fois celui-ci se replace sur la route du blindé. "Tank Man" engage même un mystérieux dialogue avec le pilote du blindé, avant d'être emmené par des inconnus, badauds ou policiers en civil.

En apparaissant quelques minutes, avec son courage tranquille dans une capitale quadrillée par les soldats, le "rebelle anonyme" est devenu une légende inoxydable, renforcée par sa disparition, probablement aux mains des forces de sécurité.

"Ce qu'il a fait symbolise l'état d'esprit de la jeunesse à l'époque", confie à l'AFP le célèbre dissident Hu Jia.

Toutes les thèses ont circulé sur le sort de l'"Homme de Tiananmen". Certains l'ont identifié sous le nom de Wang Weilin, mais cela reste à confirmer.

- L'éternel silence du pouvoir -

Comme d'autres, Hu Jia a mené sa propre enquête. "J'ai suivi toutes les pistes, sans parvenir plus loin que quelques photos et vidéos. J'ai cherché des témoins dans la rue, en vain. J'ai même demandé à des amis à l'état-major de l'armée à Shenyang de m'aider à localiser le pilote du premier char".

Du côté des autorités, c'est le silence perpétuel. Un an après les faits, la journaliste Barbara Walters, grande figure de la télévision américaine, exhibe inopinément la photo de "Tank Man" en pleine interview avec Jiang Zemin, le numéro un chinois.

"Qu'est-il arrivé à ce jeune homme?", demande-t-elle. Jiang esquive d'abord, en faisant remarquer qu'il n'a pas été écrasé par le char, puis assure ignorer ce qu'il est devenu.

Ce cliché a été pris par un photographe de l'agence Associated Press, Jeff Widener, du balcon de sa chambre à l'Hôtel de Pékin.

Même s'il n'a pas été l'unique témoin à fixer "Tank Man" sur pellicule, c'est sa photo qui a connu la gloire, publiée partout sauf en Chine. America On Line (AOL) l'a choisie comme l'une des dix plus célèbres images de tous les temps.

Depuis 25 ans, on ne compte plus les fois où elle a été recyclée, que ce soit par des organisations de défense des droits de l'homme ou des protestataires de toutes origines.

Le symbole a inspiré des artistes sur tous les continents. Il a été exploité par l'industrie publicitaire. Sans parler des dessinateurs satiriques, et jusqu'à la série télévisée des Simpson, qui ont rejoué la scène des chars avec des taxis new-yorkais.

- La parodie des canards jaunes -

Ce cliché reste pourtant largement méconnu en Chine, où il est censuré de façon draconienne. Hu Jia a ainsi découvert la photo des années après qu'elle eut fait le tour du monde.

"A une époque où très peu de gens avaient un appareil photo, cette image est pourtant inestimable", dit-il.

L'an dernier, il a suffi d'un détournement de la fameuse photographie, des canards jaunes géants remplaçant les chars, pour que les autorités chinoises bloquent sur l'internet les mots "gros canard jaune".

Contacté par l'AFP, Jeff Widener, 57 ans, confesse avoir un temps développé "une relation d'amour-haine" avec sa propre photo, dont l'impact formidable a dopé sa renommée mais aussi obscurci le reste de son travail.

"Puis, finalement, j'ai accepté la place qu'avait prise Tank Man dans ma vie".

Le photographe ajoute: "Il m'arrive de penser à Tank Man en me demandant ce qui lui est arrivé. De façon bizarre, je le sens proche. Nous sommes désormais comme des frères siamois. Peut-être vaut-il mieux que nous ne sachions jamais son identité. C'est un peu comme le soldat inconnu. Il nous rappellera toujours l'importance de la liberté, de la démocratie et de notre droit à la dignité".

Hu Jia dit à peu près la même chose: "Il se peut que Tank Man ait été tué, jeté en prison, qu'il ait fui à l'étranger. Mais cela ne compte plus vraiment, car je pense que nous sommes tous Tank Man. A cet égard, il vit éternellement".

Source : AFP

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