Samar Yazbek: entre "deux monstres", l'amer exil d'une écrivaine syrienne à Paris

  • L'écrivaine syrienne Samar Yazbek le 26 septembre 2014 à Paris
    L'écrivaine syrienne Samar Yazbek le 26 septembre 2014 à Paris AFP - Joel Saget
  • Des rebelles syriens à Qalamoun près de la frontière libanaise, le 22 septembre 2014
    Des rebelles syriens à Qalamoun près de la frontière libanaise, le 22 septembre 2014 AFP/Archives - Wissam Al-Omor
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Centre Presse Aveyron

Entre deux "monstres", le régime syrien et les jihadistes, l'écrivaine syrienne Samar Yazbek réfugiée en France, figure de l'opposition à Bachar El Assad, se dit aujourd'hui aux "portes du néant".

Réfugiée parmi les réfugiés, elle assiste, avec pour seule arme son écriture féminine et précise, à la dissolution dans la barbarie jihadiste de son pays natal, après presque quatre ans de destructions menées par le régime pour tenter de vaincre la résistance.

Intellectuelle, journaliste, écrivain, scénariste, engagée depuis longtemps contre son propre camp, alaouite, cette femme de 44 ans n'a renoncé que cette année à retourner en Syrie.

A son arrivée à Paris avec sa fille, le 13 juillet 2011, elle pensait rester deux ou trois mois et rentrer à la maison dès la chute de Bachar, que tout le monde jugeait imminente.

"Quitter la Syrie ne signifie rien d'autre que mourir", a-t-elle écrit en 2011. Mais aujourd'hui, malgré cette douleur intacte de l'exil, elle est résolue à prendre des cours de français et commencer une nouvelle vie, loin de Lattaquié où elle est née en 1970.

La violence des prisons de Bachar el Assad, qu'elle fut "invitée" à visiter dans l'espoir qu'elle se désolidarise des manifestants anti-régime en 2011, et la brutalité sanguinaire des jihadistes de l'organisation Etat islamique (ou Daech, selon l'acronyme arabe), la hantent.

- 'Les jihadistes, enfants d'Assad' -

"Ils ont voulu me faire peur parce que j'étais écrivain, leur message était de me dire +si tu veux être une résistante, viens voir ce que tu pourrais vivre+", dit-elle devant un café. "J'ai vu des hommes réduits à l'état d'animaux pour avoir tout simplement manifesté pacifiquement dans les rues. Et en même temps, le régime a libéré les islamistes radicaux qui étaient détenus depuis longtemps".

"Les gens comme moi, nous vivons entre deux monstres" ajoute la romancière, qui, a témoigné publiquement sur son bref séjour dans les geôles syriennes.

"Je ne me laisse pas devenir triste, je ne me laisse pas être en colère, sinon je ne peux plus écrire, je fais ce que j'ai à faire, j'écris, mais je ne suis pas vraiment là".

"Feux croisés, journal de la révolution syrienne", publié chez Buchet-Chastel en français, et Haus Publishing en anglais, a obtenu en 2012 une reconnaissance internationale. Il a été récompensé par des prix littéraires défendant la liberté d'expression et le courage (Prix Harold Pinter Pen en Grande-Bretagne, Pen Oxfam Prize aux Pays Bas, Tucholsky en Suède), également décernés à Salman Rushdie ou Roberto Saviano.

Avec l'argent des prix, la jeune femme a fondé une association qui s'occupe de femmes rurales en Syrie ou dans les camps de réfugiés en Turquie et au Liban. Elle insiste sur les cours d'informatique, d'anglais ou de français pour "apprendre" aux Syriennes "à résister à l'esprit rétrograde des jihadistes".

"Les jihadistes, je les connais, je leur ai parlé pendant toute une année sur la ligne de front, où j'ai recueilli des témoignages qui ont nourri +Feux croisés+" explique-t-elle. "Certains m'ont même dit qu'ils étaient en prison chez moi et que Bachar les avait libérés en avril 2011".

Pour elle, peu de doute, les jihadistes "sont les enfants de la politique" d'Assad. "Il est le premier tueur du pays" assène-t-elle, en se souvenant des bombardements incessants de l'aviation du régime sur sa propre population. "Dans les villages du nord, ça vous rend fou, on ne peut rien faire".

Blonde, élancée, Samar Yazbek porte au cou une chouette en métal argenté, "symbole de la sagesse pré-islamiste" comme celle de la déesse grecque Athéna. Grigri bien utile pour tenter de garder, comme elle l'explique, "foi en la justice pour le peuple syrien". En attendant, elle vient de terminer son prochain roman, titré pour l'instant "Les portes du néant". Encore la guerre.

A Paris, sa grande surprise fut de se faire apostropher par un fondamentaliste musulman dans son quartier. Il lui reprochait d'être sans mari et sans voile: "ici, en France?", s'interroge-t-elle incrédule.

Source : AFP

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