Jean Tirole, un Nobel d'économie loin d'être prophète en son pays

  • Jean Tirole, prix Nobel d'économie, à son bureau à l'Ecole d'économie de Toulouse, le 13 octobre 2014
    Jean Tirole, prix Nobel d'économie, à son bureau à l'Ecole d'économie de Toulouse, le 13 octobre 2014 AFP/Archives - Remy Gabalda
  • Jean Tirole, prix Nobel d'économie, à l'Ecole d'économie de Toulouse, le 13 octobre 2014
    Jean Tirole, prix Nobel d'économie, à l'Ecole d'économie de Toulouse, le 13 octobre 2014 AFP/Archives - Remy Gabalda
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Centre Presse Aveyron

Si le jury du prix Nobel d'économie avait été composé de Français, Jean Tirole ne se serait sans doute pas vu décerner cette récompense au regard des réactions dans un pays en plein marasme économique où tout est passé au tamis du clivage gauche/droite.

"Passée la fierté de cette consécration donnée à un Français, chacun s'est empressé à chercher à le classer: de droite ou de gauche, libéral ou non libéral", observe pour l'AFP le politologue Frédéric Dabi (Ifop). Pour lui, "c'est le signe supplémentaire d'une société marquée par l'idéologie politique".

"En France tout est passé au tamis du clivage gauche/droite, et en économie à celui de libéral/non libéral". Sur ce dernier point, il note aussi que "+libéral+ est un mot tellement connoté en France qu'il tue un homme politique".

Dans cette société un brin manichéenne, Jean Tirole a vite été réduit à l'une de ses propositions, le contrat de travail unique supprimant le CDI et le CDD, pour réformer le marché de l'emploi. Une proposition datant de 2003 élaborée avec Olivier Blanchard, actuellement chef économiste du Fonds monétaire international (FMI), plutôt classé à gauche.

Or si le contrat de travail unique n'est pas le cœur des travaux de Jean Tirole, ses déclarations sur ce sujet extrêmement sensible en France ont donné du grain à moudre à la classe politique.

"Le Nobel de Tirole nous permet de vérifier le degré zéro du débat économique en France: libéral ou pas? de droite ou de gauche?", a d'ailleurs déploré sur Twitter, Emmanuel Combe, professeur des universités et vice-président de l'Autorité de la concurrence.

Dans un pays confronté à un chômage de masse important, à une croissance atone et une dette exponentielle (la barre des 2.000 milliards d'euros vient d'être franchie), Jean Tirole a appelé de nouveau à une réforme du marché de l'emploi français qu'il juge "assez catastrophique". "On a une situation complètement absurde qui est qu'à force de trop protéger les salariés, on ne les protège plus du tout", a-t-il dit.

Cette formule reprise par le ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, lors de la présentation de son futur projet de loi pour "libérer" l'économie, a valu au locataire de Bercy une volée de bois vert de la part du Parti de gauche pour qui le nouveau Nobel est un "ultralibéral".

A droite, l'ex-ministre UMP du Travail de Nicolas Sarkozy, Xavier Bertrand, s'est fait fort de rappeler qu'il avait proposé ce contrat de travail unique aux partenaires sociaux qui l'avaient "envoyé promener".

- Fin d'un système -

Au delà, chacun, avec ses mots, reconnaît peu ou prou la fin d'un système et la nécessité de bouger. Éric Aubin (CGT) maugrée auprès de l'AFP contre "le développement des emplois précaires", "le mal, c'est la précarité, puisque 51% des chômeurs sont des fins de CDD". "Il y a une inadaptation entre le volume, l'activité et la formation professionnelle", résume Véronique Descaq (CFDT). "On est dans le dogmatique depuis 30 ans, pas dans la vraie vie", déplore-t-elle auprès de l'AFP.

"Dans la vraie vie", le débat idéologique semble très loin. Et lorsqu'on demande à des chefs d'entreprise ce qu'ils pensent du contrat de travail unique, les réponses varient en fonction du type d'activité. "Le CDI n'est pas un souci", assure à l'AFP Jean-Luc Dupy, un couvreur de Corrèze qui emploie 20 salariés. Son problème, dit-il c'est "le manque de main d’œuvre qualifiée".

"Il faut revaloriser le travail manuel, le rendre plus attractif, reconnaître la pénibilité de nos métiers", explique-t-il. Et de suggérer de donner la prime versée aux employeurs prenant des apprentis à ces mêmes apprentis, une fois leur examen obtenu. "Il faut qu'on leur donne envie", insiste-t-il.

Comme nombre de patrons, il plaide en faveur d'un allègement des charges pour les employeurs. Et pour les métiers comme le sien, il souhaite une revalorisation du smic (1.445,38 euros brut actuellement) tenant compte de la pénibilité du travail.

En Mayenne, un des responsable de la fédération nationale du bâtiment, Bruno Lucas, pdg du groupe éponyme (1.200 salariés), verrait lui au contraire d'un bon œil le contrat de travail unique. Mais comme "un élément de simplification, de visibilité, qui réduirait sensiblement les conflits du travail", dit-il à l'AFP. Ensuite, il faudrait, explique-t-il "faire des adaptations par branche". Il considère que cela apporterait de "la fluidité au marché du travail" et permettrait de "réduire la durée du chômage" en France.

Pour cet entrepreneur, "le système hérité des trente glorieuses est épuisé. On arrive à la fin d'un cycle". "Il faut que tout le monde donne un grand coup de pied dans la fourmilière, syndicats et patronat", dit-il. Dans une forme de mea culpa, il estime que les "chefs d'entreprise ont affaibli les syndicats". "Au sortir de la guerre, on a eu peur de tout. On ne leur a pas donné de place dans la co-décision. Il faut leur donner de l'espace".

Côté syndicats, le contrat de travail unique ne fait pas recette. "On y met tout et n'importe quoi", s'agace Éric Aubin. "C'est une vieille lune", assène Véronique Descaq, qui s'énerve contre les "y-à-qu'à-faut-qu'on" et plaide pour donner "du temps" aux réformes lancées par le gouvernement (formation professionnelle, évolution des séniors...), afin qu'elles produisent leurs effets.

Quant au modèle scandinave préconisé par Jean Tirole, les syndicats s'en méfient et si tous les gouvernements de droite comme de gauche l'ont loué, aucun n'a jamais tenté de le mettre en œuvre.

Source : AFP

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