En Thaïlande, des immigrés hantés par leurs disparus du tsunami

  • Mi Htay, une Birmane immigrée en Thaïlande qui a perdu trois enfants lors du tsunami, est assise sur une plage près de sa maison à Ban Nam Khem, le 3 décembre 2014
    Mi Htay, une Birmane immigrée en Thaïlande qui a perdu trois enfants lors du tsunami, est assise sur une plage près de sa maison à Ban Nam Khem, le 3 décembre 2014 AFP - Nicolas Asfouri
  • Mi Htay, une Birmane immigrée en Thaïlande qui a perdu trois enfants lors du tsunami, pose près de sa maison à Ban Nam Khem, le 3 décembre 2014
    Mi Htay, une Birmane immigrée en Thaïlande qui a perdu trois enfants lors du tsunami, pose près de sa maison à Ban Nam Khem, le 3 décembre 2014 AFP - Nicolas Asfouri
  • Des Birmans immigrés en Thaïlande déchargent du poisson le 3 décembre 2014 à Ban Nam Khem
    Des Birmans immigrés en Thaïlande déchargent du poisson le 3 décembre 2014 à Ban Nam Khem AFP - Nicolas Asfouri
  • Une Birmane immigrée en Thaïlande prépare un poisson le 3 décembre 2014 à Ban Nam Khem
    Une Birmane immigrée en Thaïlande prépare un poisson le 3 décembre 2014 à Ban Nam Khem AFP - Nicolas Asfouri
  • Depa Dhaurali, Birmane d'origine népalaise immigrée en Thaïlande, prie dans un temple à Phuket le 1er décembre 2014
    Depa Dhaurali, Birmane d'origine népalaise immigrée en Thaïlande, prie dans un temple à Phuket le 1er décembre 2014 AFP - Nicolas Asfouri
Publié le
Centre Presse Aveyron

Dix ans après la vague qui a arraché son nouveau-né de ses bras, Mi Htay reste hantée par le souvenir de ses trois enfants emportés par le tsunami de 2004, comme des centaines d'autres immigrés birmans dont les corps n'ont jamais été identifiés.

Personne ne sait au juste combien de travailleurs immigrés sont morts dans le tsunami du 26 décembre 2004 qui a frappé, entre autres, la côte ouest de la Thaïlande: la plupart étaient en situation irrégulière et leurs proches ne sont pas revenus récupérer leurs corps par peur d'être expulsés.

Selon les estimations de Human Rights Watch, 2.000 immigrés venus de Birmanie voisine auraient péri ce jour-là, des morts passées quasi inaperçues, alors que les caméras étaient tournées vers les touristes occidentaux emportés sur les plages du royaume.

Parmi ces victimes oubliées d'un drame qui a fait plus de 5.000 morts en Thaïlande, figurent le nourrisson de huit jours de Mi Htay, mort trop tôt pour avoir eu un nom, deux autres de ses enfants, ainsi que sa mère et un neveu.

Expulsée après le tsunami comme 2.500 autres migrants, Mi Htay est revenue un an plus tard, pour travailler dans l'usine de poissons du petit village de pêcheurs de Ban Nam Khem, dans la province de Phang Nga, région de Thaïlande la plus durement frappée par le tsunami.

"Quand je travaille, je peux oublier ce qui s'est passé", dit-elle, en montrant l'endroit où la mer a emporté son bébé.

"Mais quand je vois les autres familles partager un repas avec leurs enfants, je me sens si triste...", dit-elle.

En 2006, Mi Htay, dont les deux aînés ont survécu à la catastrophe, a été informée que les corps de sa mère et de son neveu avaient finalement été retrouvés, grâce à une opération d'identification d'une ampleur inédite, avec des médecins légistes venus du monde entier.

Ce tsunami, avec ses plus de 220.000 morts à travers l'Asie selon l'ONU, reste l'une des pires catastrophes naturelles jamais enregistrées, causée par un tremblement de terre dans les profondeurs de l'Océan indien.

Plus de 3.000 corps ont pu être rendus à leurs familles après leur identification grâce à des empreintes dentaires ou digitales, ou des tests ADN. Mais les trois enfants de Mi Htay n'ont jamais été identifiés.

"Ils sont peut-être vivants, comme on n'a pas retrouvé leurs corps. Ils sont peut-être avec d'autres gens. Peut-être qu'ils apparaîtront un jour... Alors je ne peux pas quitter cet endroit", dit Mi Htay, ses joues recouvertes de tanaka, cette poudre jaune dont se couvrent les Birmans pour se protéger du soleil.

- 'A la fois triste et heureuse' -

A part un discret panneau indiquant en thaï où courir se réfugier en cas de tsunami, peu de choses témoignent ici du fait que la vague monumentale a emporté près de la moitié des habitants de ce village qui comptait 5.000 âmes.

Les logements sommaires loués aux travailleurs immigrés ont été reconstruits, sur le port les travailleurs déchargent le poisson des bateaux vers les usines où les ouvriers comme Mi Htay le conditionnent pour dix dollars (huit euros) par jour.

Les Birmans, qui seraient quelque deux millions en Thaïlande, représentent une large part de la main-d’œuvre immigrée utilisée à moindre coût dans des secteurs comme la pêche ou l'agriculture, dans des conditions souvent dures.

Htoo Chit, directeur de l'ONG Fondation for Education and Development, qui fournit une assistance légale aux travailleurs immigrés birmans installés dans la région, se souvient de la difficulté à identifier des victimes retrouvées sans papiers après le tsunami, sans traces d'eux nulle part dans les fichiers administratifs.

"La plupart d'entre eux avaient perdu leurs proches. Ils ne voulaient pas revenir en Thaïlande pour réclamer leurs morts", explique-t-il.

Dans le cimetière de Bang Muang, non loin de là, 369 corps sont enterrés, dans une terre rouge sèche, sans avoir été identifiés. La plupart seraient birmans, selon les autorités. Un monument composé d'un cercueil ouvert symbolise la quête toujours en cours de l'identité des inconnus du drame.

Jusqu'en novembre, c'est ici que reposait la dépouille de Rajan Dhaurali, tailleur birman d'origine népalaise. Son identité a pu être établie, deux ans après sa mort dans le tsunami, grâce à des tests ADN avec sa sœur.

Mais en l'absence de papiers d'identité prouvant qu'elle est birmane, la police thaïlandaise avait refusé de lui remettre le corps, selon le collectif local des Birmans népalais.

L'association s'est alors mise en quête des enfants du tailleur, qui ont finalement pu faire incinérer leur père en novembre, dix ans après.

"Cela ne m’a pas fait me sentir mieux. Je suis à la fois heureuse et triste", confie sa fille Depa, 20 ans, employée comme nourrice dans la région. Mais pour elle, la quête ne sera sans doute jamais finie car le même jour sa mère et sa sœur ont aussi disparu.

Source : AFP

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