L’agriculture sous le poids des mots et le choc des photos

  • Une photo d’Alexa Brunet, tirée de sa série réalisée pour Dystopia.
    Une photo d’Alexa Brunet, tirée de sa série réalisée pour Dystopia. Dr A. Brunet/Picturetank
Publié le
D.L.

Édition. Une photographe plasticienne et un journaliste paysan ont uni leurs talents pour réaliser un livre sur l’agriculture telle qu’elle ne va plus. «Dystopia» se veut donc une salutaire mise en garde…

Les images sont fortes et troublantes à la fois. Comme celle que nous reproduisons ci-contre, où des corps humains dénudés sont parqués à quatre pattes dans des box d’une porcherie industrielle… Et si nous en étions déjà là, ou en tout cas si nous y allions tout droit, à force de laisser sous mille formes la barbarie prendre le pas sur notre humanité?…

Et si l’agriculture se situait justement aux avant-postes d’une menace sourde mais certaine ? «Une dystopie - ou contre-utopie - est un récit de fiction peignant une société imaginaire organisée de telle façon qu’elle empêche ses membres d’atteindre le bonheur et contre l’avènement de laquelle l’auteur entend mettre en garde le lecteur», est-il rappelé d’emblée dans cet ouvrage conçu à quatre mains. D’où son titre, «Dystopia», qu’un sous-titre rend immédiatement explicite: «Main basse sur l’agriculture».

Perspectives

Des pesticides aux élevages industriels, en passant par le sort fait aux travailleurs saisonniers, la destruction des zones naturelles face à l’agriculture intensive, l’animal fait machine et l’humain cobaye, l’emprise des multinationales liée aux famines… C’est bel et bien de l’avenir de la planète Terre et de l’Humanité qui l’habite dont il est question dans Dystopia. Et quand les photographies d’Alexa Brunet donnent à voir concrètement le sort qui nous attend, voire nous touche déjà, les textes de Patrick Herman situent chacune de ces problématiques dans leur perspective historique, sociale, économique et écologique.

«Nous avons travaillé en parallèle. Les photos ne viennent pas en illustration à mes textes, mais proposent un autre regard et une anticipation sur une réalité que je me suis employé pour ma part à décrypter», nous a expliqué Patrick Herman, qui partage son temps entre son verger bio près de Nant et ses reportages engagés -au meilleur sens du terme- sur tout ce qui peut concerner de près ou de loin l’agriculture. En témoignent ses dernières analyses sans concession.

Incompatibles

Ainsi, à l’adresse du ministre de l’Agriculture et son pari de réussir une cohabitation entre une agriculture paysanne et une autre industrielle, vient-il d’écrire, pour la revue Campagne Solidaires (n°297, juillet-août 2014) : «Peut-être faut-il lui recommander de réviser ses connaissances en matière d’histoire récente de l’agriculture française.» Et de poursuivre : «L’idée que la “modernisation” de la fin des années cinquante est venue sortir le monde paysan de son arriération n’a les apparences de l’évidence que pour ceux qui se contentent d’une réécriture de l’histoire. Elle passe sous silence les ruptures radicales intervenues avec l’irruption de la motorisation et de la mécanisation, l’utilisation de la technologie et de la chimie, et la mainmise du business sur les productions végétales et animales.»

L’écrivain paysan cite ici l’exemple, parmi d’autres, des cultures OGM qui «ne sont pas compatibles avec d’autres choix de production, l’agriculture industrielle ne voisinera pas avec l’agriculture paysanne: elle finira par l’achever, dans un contexte général de disparition des terres agricoles, qu’on pense à Notre-Dame-des-Landes !» Ainsi, conclut Patrick Herman dans l’article susmentionné, «l’utopie industrielle s’est retournée en dystopie. Cet avenir qu’on nous prépare et auquel beaucoup résistent, Dystopia l’a mis en images. N’est pas “moderne” qui l’on croit, et “archaïque” qui l’on montre du doigt.»

Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?