Creuse: à la Sapo Ambiance Bois, le patient ciselage du "travail autrement"

  • Un employé de la Sapo Ambiance Bois à Faux-la-Montagne, dans la Creuse, le 2 juin 2015
    Un employé de la Sapo Ambiance Bois à Faux-la-Montagne, dans la Creuse, le 2 juin 2015 AFP - PASCAL LACHENAUD
  • La Sapo Ambiance Bois à Faux-la-Montagne, dans la Creuse, le 2 juin 2015
    La Sapo Ambiance Bois à Faux-la-Montagne, dans la Creuse, le 2 juin 2015 AFP - PASCAL LACHENAUD
  • La Sapo Ambiance Bois à Faux-la-Montagne, dans la Creuse, le 2 juin 2015
    La Sapo Ambiance Bois à Faux-la-Montagne, dans la Creuse, le 2 juin 2015 AFP - PASCAL LACHENAUD
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Centre Presse Aveyron

Ils tirent leur PDG au sort, perçoivent tous le même salaire horaire, embauchent malgré la crise: depuis 27 ans, une scierie de Creuse bouscule le rapport au travail et une certaine logique économique, avec un statut aussi rare qu'archaïque, celui de Sapo, société anonyme à participation ouvrière.

Claire Lestavel n'aime pas qu'on le lui rappelle, mais elle est PDG d'Ambiance Bois depuis un an, quand son nom est sortit du chapeau. "Il y a un patron sur le papier pour signer les documents, mais il est tiré au sort tous les deux ans, parmi les volontaires qui n'ont pas déjà été PDG. On estime qu'on est tous exactement au même niveau de décision, d'importance, de pouvoir. Donc c'est un nom, une signature, et c'est tout. On s'en fout". Vraiment ? "En fait, non, sourit-elle. Cela a fait plaisir à ma maman...".

Lovée entre les massifs de pins Douglas et de mélèzes du Plateau de Millevaches, Ambiance bois est une "mini-filière", du sciage à la construction (un million d'euros de chiffre d'affaires annuel). Et ses actionnaires-salariés aiment à penser qu'en 27 ans, ils n'ont "pas créé que des produits en bois" mais, patiemment et parfois dans le dur, un certain rapport au travail.

Au coeur se trouve l'autogestion, l'absence de hiérarchie. Des décisions prises collectivement, pas forcément par les 25 salariés, mais ceux qui se sentent concernés ou intéressés, qu'il s'agisse des prix, du développement, du recrutement, du planning hebdomadaire.

Ah, le planning! Un casse-tête, explique Rémy Cholat (15 ans d'ancienneté), dès lors qu'il s'agit d'aménager les commandes et les chantiers avec le "temps partiel voulu": une vie professionnelle enchâssée dans la vie privée et vice-versa.

- Complexe, mais voulu -

D'où un planning ciselé en fonction d'engagements familiaux, personnels, associatifs, avec des +petites+, des +grandes journées+... Mais qui attend en retour une souplesse si les commandes l'exigent, facilitée par une polyvalence des tâches: chacun ou presque peut passer s'il le faut du commercial au sciage, au moulurage, voire à la construction.

"Va-t-on arrêter un chantier parce que le mercredi, une partie de l'équipe garde ses gosses? Ben oui, on le fait! Après, à certains moments on se dit +Non là, on peut pas...+ C'est des fois oui, des fois non", résume Rémy Cholat.

Méconnu, le statut de Sapo fut concocté en 1917 par un Parlement empreint d'union sacrée: "L'idée était de permettre un aménagement de la société anonyme pour favoriser la participation des ouvriers, via des +actions de travail+... mais sans leur donner le contrôle. Surtout pas!", analyse Jean-François Draperi, sociologue, directeur du Centre d'économie Travail et Société (Cestes).

Les Sapos ne prirent jamais: elles sont moins de dix en France. Pour ceux qui voulaient un modèle participatif, collectif, les Scop - aujourd'hui en plein essor - vraies héritières des associations ouvrières de 1848, restent l'outil le mieux adapté, sur le papier du moins.

Mais l'ironie d'Ambiance Bois est que ses salariés ont tordu le bras au statut de Sapo: outre des "actions de travail" (détenues collectivement), les salariés acquièrent des actions nominatives de capital, ce qui leur assure le contrôle de leur entreprise.

- Travail sans peur -

"Chez nous comme partout, il y a des couacs, des conflits, il arrive qu'on se +frite+ avec un collègue", tempère Rémy Cholat. "Mais, à une époque ou l'on parle beaucoup de souffrance au travail, de peur (...) ici on ne l'a pas. Et ça, c'est énorme".

Le "travail autrement" n'est pas davantage un vaccin contre la conjoncture. Frappée par la crise, concurrencée par des produits chinois ou les grands groupes, Ambiance a souffert, réagi, réorienté ses activités, sans céder aux sirènes de la rentabilité.

"Il y a 15 ans, si on avait été une entreprise +classique+ pilotée uniquement sur critères économiques, on aurait pu bosser à 50 salariés pour répondre à la demande. On n'a pas recruté. Par contre, il y a six-sept ans quand on a pris la claque, on aurait licencié, peut-être plié boutique. Or, on embauche" (un par an en moyenne depuis quatre-cinq ans), insiste Rémy Cholat.

Reportages, livre, documentaires... avec le temps, Ambiance Bois est devenu une petite célébrité du monde participatif. Avec toujours cette pudeur à s'ériger en modèle: "On n'est pas là pour donner des leçons au monde. Mais pour changer d'abord nos propres vies. Et montrer quand même que oui, ça existe, c'est possible..."

Source : AFP

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