Sous la menace des gangs, l'angoisse de prendre le bus au Honduras

  • Carcasse calcinée d'un autobus incendié par un gang en représailles du non-paiement d'un "impôt de guerre", le 29 avril 2015 à Tegucigalpa, au Honduras
    Carcasse calcinée d'un autobus incendié par un gang en représailles du non-paiement d'un "impôt de guerre", le 29 avril 2015 à Tegucigalpa, au Honduras AFP/Archives - ORLANDO SIERRA
  • José, chauffeur de bus hondurien rescapé de l'incendie de son bus par un gang, se rend à la Commission nationale des droits de l'Homme (Conadeh), le 15 mai 2015 à Tegucigalpa
    José, chauffeur de bus hondurien rescapé de l'incendie de son bus par un gang, se rend à la Commission nationale des droits de l'Homme (Conadeh), le 15 mai 2015 à Tegucigalpa AFP/Archives - ORLANDO SIERRA
  • Les enquêteurs inspectent la carcasse d'un autobus incendié par un gang en représailles du non-paiement d'un "impôt de guerre", le 29 avril 2015 à Tegucigalpa, au Honduras
    Les enquêteurs inspectent la carcasse d'un autobus incendié par un gang en représailles du non-paiement d'un "impôt de guerre", le 29 avril 2015 à Tegucigalpa, au Honduras AFP - ORLANDO SIERRA
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Centre Presse Aveyron

Les cicatrices sur son cou, sa mâchoire et ses bras lui rappellent chaque jour ce à quoi il a survécu : il y a un an José, conducteur de bus, échappait de peu à l'attaque d'un gang lui réclamant l'"impôt de guerre", une menace quotidienne dans les transports publics du Honduras.

L'homme de 46 ans, qui témoigne sous le couvert de l'anonymat, ignorait qu'il devait payer ce tribut, une sorte de péage qu'exigent les bandes criminelles auprès des chauffeurs de bus et de taxis, des petits commerçants et des simples citoyens s'aventurant sur leurs territoires.

La sanction pour cet oubli, terrifiante, est venue un jour de mai 2014: alors qu'il conduisait son bus à Tegucigalpa, quatre jeunes ont surgi, grimpant à bord et menaçant les 36 passagers avec des armes.

"Ils ont fait descendre les passagers, fermé la porte du bus, cassé le mécanisme d'ouverture pour s'assurer que je ne pourrais pas sortir et ont lancé une mèche enflammée par la fenêtre", raconte cet homme de petite taille, qui porte un maillot sportif orange et une casquette déteinte des Mets de New York.

Ayant réussi miraculeusement à se jeter par la fenêtre pour échapper aux flammes, mais déjà transformé en "torche" humaine selon ses propres mots, José a passé deux mois à l'hôpital.

Son cas n'est pas isolé dans un pays où les bandes criminelles - les "maras" - se sont partagé le territoire, pratiquant, outre l'extorsion, le trafic de drogues, les assassinats, les attaques à main armée et le vol de véhicules.

Même s'il reste traumatisé, José est vivant pour raconter son histoire. D'autres n'ont pas eu cette chance : il y a quelques semaines, le chauffeur de taxi Noé Martinez, âgé de seulement 19 ans, est mort brûlé vif, enfermé dans son véhicule.

- 'On va t'appeler' -

Rien qu'en 2015, 50 personnes ont été tuées - dont 17 conducteurs professionnels - et 25 ont été blessées dans des attaques visant le système de transports publics, selon la Commission nationale des droits de l'Homme (Conadeh).

Derrière ce drame, une guerre officieuse oppose les deux gangs les plus importants du pays, la Mara Salvatrucha (MS-13) et la Mara 18.

Pour récolter ce qu'ils appellent "l'impôt de guerre", ces gangs ont différentes techniques : la plus récente, racontent José et l'un de ses collègues, consiste à aborder les contrôleurs au terminal de bus en leur remettant un mobile.

"On va t'appeler", leur dit-on simplement.

Quand le téléphone sonne, le gang ordonne de récolter 600.000 lempiras (environ 30.000 dollars) auprès des chauffeurs en moins de six heures. Si le contrôleur manque à sa mission, le gang commence à tuer des conducteurs.

"Moi on m'a demandé jusqu'à 200.000 lempiras" et "si on dit non, ils nous tuent", explique Javier, un contrôleur de 44 ans qui ne donne pas son nom de famille par crainte de représailles.

Les bandes criminelles emploient "des personnes différentes pour toucher l'argent, pour intimider", les plus redoutées étant naturellement les "gatilleros" (de "gatillo", la détente du pistolet), "ceux qui sont chargés des exécutions", souligne Javier.

Selon lui, la Mara Salvatrucha et la Mara 18 prélèvent 25 à 30 dollars par semaine auprès de chacun des conducteurs, dans un pays où le salaire mensuel moyen avoisine les 350 dollars.

- Caméras et boutons d'alerte -

Pour contrer ces extorsions, les entreprises privées de transport réalisent des voyages sans escale, après une fouille minutieuse des passagers. Impossible à envisager pour les autobus urbains.

Dans les transports publics, "on voyage dans la peur car on a tous déjà vécu une attaque" de gang, soupire Juanita, vendeuse de légumes de 47 ans. "Une fois, j'ai fait semblant d'être endormie quand deux assaillants sont montés dans le bus, mais même comme ça je n'ai pas pu y échapper".

"Nous avons tous donné nos affaires car on avait peur, l'un d'eux avait un pistolet, l'autre un couteau", se souvient-elle.

La mainmise des "maras" sur le Honduras se traduit par un record mondial d'homicides, avec 90 meurtres pour 100.000 habitants en 2012, selon l'ONU.

Une violence qui malheureusement se banalise, observe Wilfredo Méndez, directeur du Centre d'investigation et de promotion des droits de l'Homme (Ciprodeh).

"Il y a un processus de dégradation du tissu social en raison de l'impunité et de la violence" et désormais beaucoup d'habitants "voient le délit comme un acte lucratif normal", déplore-t-il.

Certes, la police arrête des criminels. "Mais dès l'après-midi ils sont à nouveau dehors, remis en liberté", regrette Juanita.

Une impunité dénoncée par la sous-commissaire des droits de l'Homme, Linda Rivera.

Un projet de loi a été remis au Parlement pour permettre l'installation de caméras dans les autobus et de boutons d'alerte connectées directement à la police.

Si le texte est voté et appliqué, passagers et conducteurs pourront peut-être voyager plus sereinement à l'avenir, relève le colonel Gustavo Paz, commandant de la Force de sécurité intérieure nationale (Fusina). "Impossible", en tout cas, de déployer des militaires et policiers dans tous les véhicules...

Source : AFP

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