Hamid Karzaï, l'ex-président qui agace le pouvoir afghan

  • L'ex-président afghan Hamid Karzaï à Moscou le 25 juin 2015
    L'ex-président afghan Hamid Karzaï à Moscou le 25 juin 2015 AFP/Archives - ALEXANDER NEMENOV
  • Le président afghan Ashraf Ghani (d) et le numéro deux du régime Abdullah Abdullah prie durant une visite à Jalalabad, dans la province de Nangarhar, le 23 avril 2015
    Le président afghan Ashraf Ghani (d) et le numéro deux du régime Abdullah Abdullah prie durant une visite à Jalalabad, dans la province de Nangarhar, le 23 avril 2015 AFP/Archives - Noorullah Shirzada
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Centre Presse Aveyron

Il critique son successeur, tirerait les ficelles d'un "gouvernement fantôme" et semble se placer en futur homme providentiel en cas de crise. Dix mois après son départ, l'ex-chef de l'Etat afghan Hamid Karzaï est omniprésent et agace le pouvoir qui doit composer avec ses incessantes saillies.

En septembre 2014, au moment de passer le témoin à Ashraf Ghani après plus de 12 ans de pouvoir, Hamid Karzaï n'a pu s'empêcher de décocher quelques flèches peu diplomatiques.

Comme souvent lors de ses dernières années, il a étrillé les Etats-Unis, pourtant son principal soutien militaire et financier, qui selon lui "ne veulent pas la paix en Afghanistan". Et d'attaquer le Pakistan, influent voisin au jeu trouble: "S'ils voulaient la paix" en Afghanistan, a-t-il pesté, les Etats-Unis et le Pakistan "pourraient la rétablir".

M. Ghani pensait peut-être ce jour-là à un ultime bouquet final. Dès le lendemain de son investiture, il tournait la page Karzaï en signant avec Washington l'accord bilatéral de sécurité que son prédécesseur refusait mordicus de parapher.

Puis il a joué la carte de la réconciliation avec le Pakistan, un virage qui a semblé commencer à porter ses fruits la semaine dernière avec les premiers contacts officiels entre le gouvernement afghan et les rebelles talibans, organisés à Islamabad.

Mais dix mois après la transition, M. Ghani doit toujours composer avec les sorties de son prédécesseur, qui continue de jouer sa petite musique personnelle. Critiquant le rapprochement avec Islamabad, il a ainsi appelé à "annuler immédiatement" l'accord de coopération signé en mai entre les services de renseignement pakistanais et afghans.

Sans se départir de son chapan, le manteau traditionnel rayé vert et violet qu'il revêtait déjà en tant que président, M. Karzaï fut ensuite reçu en grande pompe par le président russe Vladimir Poutine pour évoquer "la menace posée par l'organisation Etat islamique". A Kaboul, il "voit de nombreux responsables tribaux", rouages essentiels de la vie politique afghane, explique à l'AFP son proche conseiller Aimal Faïzi.

"Hamid Karzaï fait de la politique depuis qu'il sait marcher", note Bette Dam, sa biographe néerlandaise. Son père, assassiné par les talibans en 1999, était un membre influent de la tribu pachtoune des Popalzaï et Hamid Karzaï reste très populaire dans son fief de Kandahar, où l'on voit le rapprochement avec Islamabad d'un très mauvais oeil. "En tant qu'Afghan et figure politique influente, M. Karzaï ne peut ignorer ce qui se passe dans son pays", euphémise M. Faïzi.

Cette encombrante présence ne va pas sans faire grincer des dents à l'Arg, le palais présidentiel où Ashraf Ghani cohabite avec Abdullah Abdullah, le chef de l'exécutif.

- "Gouvernement fantôme" -

"Si vous me demandez si M. Ghani ressent l'ingérence de Karzaï, la réponse est oui", s'énerve une source au palais. "Karzaï devrait pourtant s'estimer heureux. Sa maison, sa sécurité et même son cuisinier sont payés par le gouvernement", lance cet interlocuteur qui ne souhaite pas être identifié, sans cacher son énervement: "Il ne comprend pas le mot +hospitalité+ ou quoi?".

Pis, un observateur occidental qui requiert lui aussi l'anonymat estime que M. Karzaï s'est constitué un "gouvernement fantôme", prêt à reprendre du service en cas d'échec du pouvoir actuel.

"Certains évoquent ouvertement la chute de ce gouvernement", peste de son côté le n°2 du régime, Abdullah Abdullah. "Quiconque répand ces rumeurs ne rend pas service au pays", bondit-il lors d'un entretien avec l'AFP, sans toutefois nommer M. Karzaï ou son entourage.

La situation est inédite dans un Afghanistan qui n'avait jusque là jamais connu d'alternance démocratique, et où 35 ans de conflit ont abonné les chefs de l'Etat à des fins tragiques, à l'image de Najibullah, dernier président de la République démocratique d'Afghanistan soutenue par l'URSS, assassiné par les talibans en 1996.

A 57 ans, M. Karzaï est lui "encore jeune" et reste dans l'arène politique, quitte à s'ériger en "opposition de facto" à Ashraf Ghani, relève l'observateur étranger.

Il arrive à "capitaliser sur la déception des Afghans", lassés par l'insécurité et méfiants envers un Pakistan accusé de continuer à soutenir les talibans, analyse Ahmad Saeedi, un politologue afghan. MM. Karzaï et Ghani se sont vus en début de semaine pour tenter d'aplanir leurs différences, mais rien n'a filtré de cette rencontre.

Alors, la nostalgie pourrait-elle faire réélire Hamid Karzaï à la présidentielle de 2019? Il faudrait d'abord trancher pour savoir si la Constitution l'autorise à se présenter: si elle interdit "plus de deux mandats", elle ne précise pas si un troisième est possible après un certain laps de temps. Aimal Faïzi, son conseiller, assure toutefois que M. Karzaï n'a "aucune intention de se présenter".

Et comme l'explique un autre observateur occidental: "personne n'arrive à définir son projet".

Source : AFP

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