Après avoir séduit Chirac, un trésor "volé" rentre en Chine

  • Profils d'oiseaux de proie sur des plaques d'or massif incisé datant des environs du VIIIe siècle avant notre ère, restitués par la France à la Chine et exposés à Lanzhou, la capitale de la province du Gansu, le 20 juillet 2015
    Profils d'oiseaux de proie sur des plaques d'or massif incisé datant des environs du VIIIe siècle avant notre ère, restitués par la France à la Chine et exposés à Lanzhou, la capitale de la province du Gansu, le 20 juillet 2015 AFP - STR
  • Christian Deydier (g) discute avec le président Jacques Chirac et le membre de la Commission Biennale des antiquaires Jacques Perrin, le 18 septembre 2001 à Paris
    Christian Deydier (g) discute avec le président Jacques Chirac et le membre de la Commission Biennale des antiquaires Jacques Perrin, le 18 septembre 2001 à Paris AP POOL/AFP/Archives - JACQUES BRINON
  • François Pinault devant les deux bronzes restitués en 2013 à la Chine, provenant du sac du Palais d'été de Pékin lors de la deuxième Guerre de l'opium en 1860 François Pinault devant les deux bronzes restitués en 2013 à la Chine, provenant du sac du Palais d'été de Pékin lors de la deuxième Guerre de l'opium en 1860
    François Pinault devant les deux bronzes restitués en 2013 à la Chine, provenant du sac du Palais d'été de Pékin lors de la deuxième Guerre de l'opium en 1860 AFP/Archives - Str
  • Le Musée national d'arts asiatiques Guimet, à Paris
    Le Musée national d'arts asiatiques Guimet, à Paris AFP/Archives - Olivier Laban-Mattei
  • La ministre de la Culture Fleur Pellerin, le 5 juin 2015 à Paris
    La ministre de la Culture Fleur Pellerin, le 5 juin 2015 à Paris AFP/Archives - ALAIN JOCARD
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Centre Presse Aveyron

Un musée d'une lointaine région de Chine expose depuis lundi des plaques d'or qui avaient intégré le patrimoine français grâce au président Jacques Chirac, Paris décidant 15 ans plus tard de restituer discrètement ce trésor, après s'être fait convaincre qu'il provenait d'un pillage.

L’exposition "Qin Yun", au musée provincial du Gansu, a été inaugurée en présence des autorités locales et de l'ambassadeur de France, Maurice Gourdault-Montagne.

On y voit 32 oeuvres rarissimes, en or massif incisé, fondues au VIIIe siècle environ avant notre ère.

Fleurons du lot, quatre profils d'oiseaux de proie qui faisaient partie d'ornements de chevaux ou décoraient le cercueil d'un dignitaire de la dynastie des Zhou.

Officiellement, ces pièces ont été dérobées au début des années 1990 sur le site archéologique de Dabaozi, dans le Gansu, province coincée entre les étendues arides de Mongolie et les contreforts du plateau tibétain.

Ces objets somptueux furent pourtant offerts de bonne foi à l'Etat français, au terme de détours classiques dans les arcanes du marché de l'art asiatique.

Cette odyssée impliquant experts, marchands et mécènes --certains avec la triple casquette-- a débuté en 1993 à Taïwan: alors qu'il y rend visite à un marchand d'art, l'antiquaire français Christian Deydier se voit présenter un ensemble de 28 plaques en or.

Familier des campagnes de fouilles et spécialiste reconnu de l'archéologie chinoise, il saisit instantanément l'intérêt de ces reliques et les achète.

- Chirac et les rapaces -

Le galeriste parisien montre alors ses acquisitions à des experts chinois, les fait figurer dans des catalogues spécialisés et les expose à la Biennale des antiquaires, sans créer de vagues.

Quelques années plus tard, il acquiert même auprès de la veuve du marchand taïwanais les quatre magnifiques têtes de rapace.

Amateur passionné d'arts asiatiques, le président Jacques Chirac tombe à son tour sous le charme de ces plaques d'or, trop onéreuses toutefois pour les finances publiques de la France.

Le chef de l'Etat convainc donc son ami mécène, le milliardaire François Pinault, d'acheter pour un million d'euros les quatre oiseaux, pour les offrir au musée national des arts asiatiques Guimet. Christian Deydier effectue une donation similaire des 28 autres plaques.

La controverse éclate au milieu des années 2000, par le dépôt d'une plainte de Bernard Gomez, un marchand se présentant comme "expert agréé par les ministères du patrimoine chinois". L'homme est connu pour accuser certains de ses confrères de vendre des pièces selon lui sorties illégalement de Chine.

L'enquête, confiée au juge Philippe Courroye, conduit les protagonistes de l'affaire à être interrogés par les policiers.

Aucun consensus ne se dégageant sur l'origine illégale des objets, la polémique semble s'apaiser.

- Pinault, serial restitueur -

Le dossier est toutefois récemment réactivé par la nouvelle direction de Guimet, Paris ne cessant de vanter une relation bilatérale sino-française "au beau fixe".

Le ministère français de la Culture décide du retour des objets, sans publicité et après voir poussé Deydier et Pinault à annuler leur donation.

Le milliardaire français avait déjà gagné la faveur des Chinois en rapportant à Pékin en 2013 deux bronzes issus du sac du Palais d'été, à l'origine d'une vive polémique lors de leur mise aux enchères en 2009 à Paris.

"La France est fière de sa coopération avec le gouvernement chinois pour la protection du patrimoine", a commenté lundi l'ambassade de France.

Une satisfaction absolument pas partagée par Christian Deydier, furieux du sort de sa donation.

"La ministre (Fleur Pellerin) a fait une erreur capitale par ignorance, en faisant une annulation de donation. Seule l'Assemblée nationale est habilitée à le faire", a-t-il affirmé à l'AFP.

"C'est le patrimoine français qui en souffre", a-t-il ajouté, dénonçant une "exportation à la sauvette".

D'autre pays --Belgique, Japon ou Etats-Unis-- ont selon lui acheté des plaques de même provenance, sans les rendre. Et de conclure: "Les autorités françaises ont baissé leur pantalon!"

L'affaire a également suscité une question écrite de la députée apparentée écologiste Isabelle Attard, adressée à la ministre de la Culture.

Interrogé lundi sur la restitution des pièces, le musée Guimet a renvoyé l'AFP vers le ministère de la Culture, qui lui n'avait pas donné suite mercredi.

Contacté par l'AFP, le cabinet de Fleur Pellerin a assuré mercredi que la restitution s'était basée sur les travaux d'un groupe d'experts franco-chinois, mis en place en 2014, qui avait conclu qu'"un faisceau d'indices concordants amenait désormais à considérer que la demande de restitution formulée par la Chine était fondée".

Sur la question de la sortie des plaques du domaine public, le ministère a affirmé que l'État et les donateurs étaient convenus à l'amiable d'une révocation de la donation, une telle résolution étant approuvée "aussi bien par la doctrine que par la jurisprudence".

Source : AFP

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