Dessinateurs de presse: entre précarité professionnelle et menace islamiste

  • Le dessinateur britannique Ant fait une caricature sur un "tableau de la liberté d'expression" le 11 septembre pendant les 5èmes rencontres internationales des dessinateurs de presse du Mémorial de Caen
    Le dessinateur britannique Ant fait une caricature sur un "tableau de la liberté d'expression" le 11 septembre pendant les 5èmes rencontres internationales des dessinateurs de presse du Mémorial de Caen AFP - Charly Triballeau
  • Portrait de groupe de dessinateurs présents aux 5èmes rencontres internationales des dessinateurs de presse du Mémorial de Caenen Normandie, le 11 septembre 2015
    Portrait de groupe de dessinateurs présents aux 5èmes rencontres internationales des dessinateurs de presse du Mémorial de Caenen Normandie, le 11 septembre 2015 AFP - Charly Triballeau
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Centre Presse Aveyron

Les 5èmes rencontres internationales des dessinateurs de presse du Mémorial de Caen se sont achevées dimanche sur l'amer constat qu'il est difficile de vivre de ce métier et que les caricaturistes osant aborder l'islamisme le font au péril de leur vie.

Reportées de cinq mois pour cause de trop grande proximité dans le temps avec le 7 janvier, les rencontres réunissaient depuis vendredi 35 dessinateurs du monde entier.

Pendant ces trois jours, le souvenir de l'attentat contre Charlie Hebdo au cours duquel cinq des caricaturistes français les plus connus ont été tués par des islamistes radicaux, a été omniprésent. L'accès du public au Mémorial se faisait d'ailleurs sous haute surveillance policière.

Au cours de multiples débats, les dessinateurs ont admis à l'unisson que la caricature politique, surtout quand elle aborde l'utilisation de l'islam par les islamistes, devenait un exercice de plus en plus périlleux.

Une des raisons principales: les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter véhiculent des dessins à l'autre bout du monde vers des publics auxquels ils ne sont pas destinés et qui peuvent les interpréter de façon bien différente.

Alex, dessinateur au journal suisse La Liberté de Fribourg, avait été un des premiers à recevoir des menaces pour un dessin sur le prophète Mahomet, avant la publication en 2005 de caricatures au Danemark par le quotidien conservateur Jyllands-Posten.

Il avait représenté en 2004 le prophète séparant en deux les eaux d'une piscine, à la façon de Moïse ouvrant la mer Rouge, pour illustrer les demandes de citoyens musulmans de la ville pour des heures de piscine spécifiquement réservées à leur communauté.

"C'était un dessin tout à fait local mais j'ai reçu des menaces de mort sur internet venant de pays lointains, cela n'a duré que quelques jours", raconte-t-il, notant cependant que "le monde a bien changé depuis 2004".

- Une agence pour dessinateurs? -

"Depuis l'attentat de Charlie, on a tous eu peur mais nous Occidentaux, on ne doit pas céder à cette peur", estime-t-il, tout en reconnaissant parfois "détourner la chose" comme ce dessin qu'il a fait avec des petits points, demandant aux lecteurs de dessiner eux-mêmes le prophète.

Pour Osama Hajjaj, dessinateur jordanien, menacé récemment par l'Etat islamique, le danger est beaucoup plus proche. "Ils m'ont dit: si tu continues, on va te trouver", affirme-t-il à l'AFP.

Marié, père de deux enfants, il se demande s'il doit mettre sa famille en danger et envisage même de quitter son pays.

Les pressions pour qu'il cesse cette activité sont nombreuses. "Dans l'agence de graphisme où je travaille, on me dit d'abandonner le dessin politique, les autorités me recommandent la discrétion", explique-t-il.

Lounis, dessinateur du journal Le Jour d'Algérie vit depuis longtemps sous la menace, ayant connu la guerre intérieure entre l'armée et les islamistes.

"Si je fais des dessins qui critiquent l'intégrisme ou les terroristes, ils passeront", observe-t-il. En revanche, il s'abstient d'aborder certains sujets comme la religion ou la santé du président Abdelaziz Bouteflika.

Au-delà de la menace des extrémistes, le monde du dessin de presse satirique reste confronté à une certaine précarité professionnelle, à l'exception de quelques "stars".

"Il est difficile de vivre uniquement du dessin politique et les médias doivent accepter de payer plus pour les dessins", affirme le Néerlandais Tjeerd Royaards, rédacteur en chef de la plate-forme internet Cartoon Movement qui met en ligne plus d'une centaine de dessins par jour venant de 350 dessinateurs freelance du monde entier.

Dans l'esprit de ce site, le philosophe Michel Onfray a lancé l'idée de la création en France d'une "Agence France Presse du dessin" sur des bases coopératives, qui permettrait aux dessinateurs pas encore connus de vivre de leur art.

"Cela doit être sur une base militante", a-t-il dit, sans hiérarchie de salaires, à l'exemple de l'ancienne Agence de presse Libération (APL) qui accompagna la première époque du journal du même nom, fondé sous l'égide de Jean-Paul Sartre.

Source : AFP

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