Pakistan: une nouvelle génération de conductrices en deux-roues et en camion

  • L'étudiante pakistanaise Tayyaba Tariq à moto dans une rue de Lahore, le 9 octobre 2015
    L'étudiante pakistanaise Tayyaba Tariq à moto dans une rue de Lahore, le 9 octobre 2015 AFP - Arif Ali
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Centre Presse Aveyron

Défiant le trafic tapageur des rues bondées de Lahore, cité vivante de l'est pakistanais, Tayyaba Tariq se faufile, fière sur sa toute nouvelle moto, entre voitures et "rickshaws", ces voiturettes à trois roues fréquentes en Asie.

Bien qu'il y ait de plus en plus de femmes au volant au Pakistan, pays conservateur musulman de 200 millions d'habitants, l'idée de femmes dévoilées chevauchant des deux-roues ou gagnant leur vie comme chauffeur de "rickshaw" ou de poids-lourds est encore taboue.

Casque blanc sur des cheveux au vent et 125 cc rutilante, Tayyaba, 22 ans et vêtue d'un jean, fait néanmoins partie d'une nouvelle génération de conductrices déterminées à repousser les limites qui leur sont imposées par une société volontiers sexiste.

La jeune femme parcourt 50 km par jour en moto, un moyen bien plus abordable que la voiture d'aller travailler comme agent des douanes à la frontière avec l'Inde.

Nombre de femmes se déplacent en moto... mais elles sont habituellement assises en amazone derrière un homme qui conduit.

"Si les femmes apprennent à conduire une moto, elle peuvent se déplacer librement, aller et venir indépendamment", souligne Tayyaba Tariq auprès de l'AFP.

Un enjeu de taille quand on sait que les trois quarts des Pakistanaises ne sont pas sur le marché du travail, principalement à cause du manque de transports sûrs, selon une étude de l'organisation internationale du travail (OIT).

Alors que les femmes subissent une discrimination quotidienne au Pakistan, une série de campagnes récentes a eu lieu pour essayer de leur faire une place dans l'espace public, dont elles sont habituellement exclues, comme les petits cafés de bord de route.

Sur la question des transports, les autorités provinciales de Lahore ont lancé en novembre un programme de sensibilisation dans le cadre duquel près de 70 conductrices ont pris des cours de moto - avocates, domestiques ou employées de bureau.

De leur côté, des policiers de Lahore ont formé près de 150 motardes récemment, selon Sajjad Mehdi, de la police locale des transports, "et beaucoup d'autres femmes ont appris toutes seules".

- La ville en rose -

Si la jeune motarde peut échapper aux importuns d'un simple coup d'accélérateur, ce n'est pas le cas de femmes qui se déplacent en rickshaws, où elles se retrouvent coincées avec le chauffeur dans un minuscule habitacle.

Pour parer à cela, une entrepreneuse, Zar Aslam, a lancé des rickshaws réservés aux femmes et conduits par des femmes.

Une façon de donner de l'autonomie à la fois aux passagères, qui ont un moyen plus sûr de se rendre au travail ou chez leurs proches, et à la conductrice, qui trouve ainsi une source de revenus.

Mme Aslam a mis en circulation l'an dernier à Lahore cinq de ces "Rickshaws roses".

Son organisation s'efforce de former des conductrices supplémentaires et de trouver de nouveaux financements.

"Nous essayons d'aider les femmes à entreprendre et devenir les propriétaires-gestionnaires de leur propre rickshaw", explique la quinquagénaire.

Pour l'actrice Nadia Jameel, ambassadrice des Rickshaws roses, "n'importe qui entre 18 et 102 ans peut conduire un rickshaw, quelle que soit sa classe et son milieu d'origine".

"Des femmes vont se porter candidates car elles n'ont pas le choix. Elles ont besoin de cet argent", souligne cette star du petit écran.

- Par nécessité -

C'est également la nécessité qui a poussé Shamim Akhter, une mère divorcée de 53 ans, à devenir la première conductrice de "truck", ces poids-lourds brinquebalants ornés d’exubérants motifs qui font partie du folklore pakistanais.

Abandonnée par son mari après la naissance de cinq enfants, Mme Akhter s'est échinée à faire vivre sa famille par des petits boulots pendant des années, avant de conduire des camions et d'entrer ainsi dans l'histoire.

Elle travaille depuis, de nuit comme de jour, avec des collègues masculins pour transporter des briques dans la capitale Islamabad.

"Mon mari ne vit pas avec moi, mais avec sa seconde femme, et je dois subvenir seule aux besoins de la famille", confie-t-elle.

Après avoir appris à conduire une voiture, elle a commencé par ouvrir une auto-école, qui fut un échec.

Elle a alors passé l'examen pour devenir conductrice du "métro-bus", qui venait d'être lancé dans la capitale. Mais elle n'a pas décroché de poste, car le gouvernement n'avait pas pour politique d'embaucher des femmes comme chauffeurs.

Finalement, Shamim Akhter a contacté une compagnie de transport locale.

"Je gagne 1.000 roupies (9 euros NDLR) par trajet un peu long effectué en dehors d'Islamabad", explique-t-elle à l'AFP tout en astiquant la cabine d'un camion.

"Cela ne me permet pas de couvrir (toutes) mes dépenses, mais je ne vais pas rester là à attendre, les bras croisés. Si on a besoin de 10.000 roupies (90 euros, NDLR) et qu'on en gagne 7.000 (61 euros), c'est toujours mieux que rien", dit-elle.

Si la conduite peut être un outil d'émancipation, il faudra toutefois du temps pour que les mentalités changent, même à Lahore, qui est sûrement la ville la plus ouverte du Pakistan.

"Il arrive souvent que des garçons nous suivent" en moto, reconnaît Tayyaba la motarde. "Mieux vaut les ignorer car plus on leur prête attention, plus ils nous importunent".

"Ils veulent toujours faire la course avec une fille à moto. Ils pensent qu'une fille ne sait pas conduire et qu'elle aura peur (...) Mais ils ne devraient pas considérer les filles comme inférieures", dit la jeune femme.

Source : AFP

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