Irène Saïd Ali, reine malgré elle

  • « Grosse dormeuse », « molle » assumée, la Mahoraise se révèle en compétition.
    « Grosse dormeuse », « molle » assumée, la Mahoraise se révèle en compétition.
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Centre Presse Aveyron

Elle a encore du mal à s’y faire. Les compliments lui font « bizarre », dit-elle, avec la gêne caractéristique d’une adolescente de 17 ans qui manie le « ché pas » comme un bouclier. Irène Saïd Ali va bien devoir composer avec les louanges. Ces deux dernières semaines, en effaçant un record d’Aveyron vieux de 20 ans sur 60 m (7’65”), et en prenant une 8e place aux championnats de France de saut en longueur cadets-juniors (5,48 m), la timide jeune fille du Stade Rodez athlétisme a pris une tout autre dimension. Celle d’une météorite d’1,68 m qui ne sait pas encore bien où elle va atterrir mais doit composer avec un nouveau statut.

Irène Saïd Ali, elle, repousse cela à grands renforts de sourires immenses et de « mais c’est trop cool ! ». Il faut dire que rien ne prédestinait vraiment la Mahoraise à enfiler les pointes et à tâter du tartan. Non rien de rien pour cette ado qui ne regardait même pas Usain Bolt affoler les compteurs tous les quatre ans. Mais le jeu du hasard et des rencontres a fait le reste.

La première fut avec Jérôme Broseta, entraîneur reconnu de rugby - actuellement à Lévezou Ségala -, et professeur d’EPS à Jean-Moulin. C’est d’ailleurs au collège ruthénois qu’il est tombé nez à nez avec cette « bombe, un véritable talent brut comme (il) n’en avait jamais croisé ». Il y a trois ans, cette aînée d’une fratrie de six enfants débarquait tout juste à Rodez. « Elle était mal intégrée, un peu dans son coin, se souvient Broseta. Je lui ai proposé de venir essayer le handball en UNSS. Et sur son premier match, elle était pommée. Mais qu’est-ce qu’elle courrait vite ! » Le lendemain, le technicien à la voix rauque l’invite à venir « tester l’athlé. J’ai tapé deux fois sur le chrono pour y croire », se marre l’ex-coach des rugbymen de Rodez, alors au début de ses surprises.

Irène Saïd Ali n’est pas encore sous le charme de l’athlé. « Quand il m’a parlé de ça, je pensais à la souffrance des gars qui courent le cross. Et ça non, ce n’est pas pour moi ! ». Pourtant, elle se découvre des capacités et décroche ses premiers lauriers. Records du collège, troisième temps garçons et filles mélangés lors d’un championnat d’académie et, très vite, le grand saut en club. Patrice Cabaniols, handballeur de son état et surveillant à Jean-Moulin, mais surtout fils d’Alain, président du Stade Rodez athlétisme, joue les passerelles.

Arrivée à l’âge de 1 an à Marseille dans les valises de sa mère avant de filer à Clermont-Ferrand, Ardes-sur-Couze (Puy-de-Dôme) puis Deca- zeville à 7 ans, Irène refuse d’abord les avances. Elle préfère le hand et le foot. Mais elle finit par accepter. Pour voir. « Je n’étais toujours pas emballée », sourit la native de Mamoudzou, chef-lieu de Mayotte pas inconnu à Rodez puisque le club de football a défié au stade Paul-Lignon il y a quelques mois le Raf en coupe de France (2-1 après prolongations), sous les yeux de la jeune fille.

La motivation, finalement, viendra de plus loin chez cette « molle » assumée que Jérôme Broseta se souvient avoir vu rappliquer en sandales sur une séance. « En fait, c’est la compétition qui m’a donné envie de continuer. J’aime me mesurer aux autres », glisse-t-elle en demandant si la réponse convient. Se mesurer donc, mais aussi fendre l’armure. Chez Irène Saïd Ali, la clé est là. « Au départ, j’étais timide. À l’entraînement, j’avais du mal à aller vers les autres. Mais ça, c’était avant ! En me faisant des amis, le plaisir est venu. »

Et les performances aussi. Sous les ordres de Nicolas Hirt, puis depuis septembre de Jean-François Prigent, l’élève de Terminale ASSP (accompagnement, soin et service à la personne) apprend les bases. Celle qui se rêve en « pompier ou dans le médical » récolte aussi d’autres médailles. Elle ne se souvient pas lesquelles (vice-championne Occitanie juniors sur 60 m et bronze à la longueur) mais elle brille régionalement dès sa deuxième année. Et tout ça, « sans trop bosser mais j’assume », renchérit cette grosse dormeuse.

Le déclic est récent. Le « stress » implique chez elle un problème neurologique. Résultat, l’entraînement est relégué au second plan pendant six mois. L’interne du lycée Foch se qualifie néanmoins pour les championnats de France. Elle y rencontre Teddy Tamgho mais y prendra surtout la 8e place juniors. « Donc si je travaille... », déduit-elle. « Elle a des qualités de concentration cachées, analyse son coach, Jean-François Prigent, ex-membre de l’équipe de France de décathlon et de javelot. Avec sa vitesse, sa souplesse et son impulsion, elle a surtout déjà le podium national en longueur dans les jambes et les cinq premières places juniors en hepthatlon. »

Si son entraîneur la verrait bien sur ce combiné de sept épreuves, Irène Saïd Ali, elle, commence tout juste à se faire à l’idée de la réussite. « Aller plus loin, viser plus haut », dit-elle, forte d’un sérieux nouveau qu’elle jure avoir fait sien. Avec un rêve avoué du bout des lèvres : « L’équipe de France, ce serait le top ». Elle peut commencer à s’habituer aux compliments.

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