Sébastien Bras : « Notre cœur parle dans nos assiettes »

  • Sébastien Bras, ici en cuisine, fêtera les 25 ans du Suquet cette saison. Ouverture le 6 avril.
    Sébastien Bras, ici en cuisine, fêtera les 25 ans du Suquet cette saison. Ouverture le 6 avril.
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Centre Presse / Mathieu Roualdés

Le Suquet rouvrira ses portes le 6 avril prochain pour une nouvelle saison. Comment s’annonce-t-elle ?

On est plus que jamais en forme. On a le luxe d’être fermé durant plus de quatre mois et on en profite à chaque fois pour repenser le fonctionnement du restaurant, rechercher de nouveaux produits, réaliser des ajustements dans l’établissement avec notamment la rénovation de l’hôtel l’an prochain, etc. Bref, c’est une perpétuelle remise en question car notre cuisine est vivante. On imprime nos menus tous les midis et soirs. Il n’y a rien de plus ennuyant qu’une cuisine figée.

Cette année, le restaurant fêtera ses 25 ans et on se dit que la « saga Bras » et son succès ne s’arrêteront jamais...

Tout cela ne me rajeunit pas (rires). Après, seul Dieu sait de quoi sera fait l’avenir... Le fait d’habiter sur l’Aubrac et le Nord-Aveyron permet de garder les pieds sur terre. On a bien conscience que le succès est quelque chose d’éphémère. Je suis incapable de dire de quoi sera fait demain et en attendant, on ne se repose pas sur nos lauriers.

Récemment, votre père, Michel, s’est engagé dans une tribune pour le « bien manger ». L’avenir de la cuisine vous inquiète-t-il et comment le voyez-vous ?

La cuisine est faite de modes et de courants. Il y a 10-15 ans, on se posait beaucoup de questions sur l’avenir. Tous les jeunes cuisiniers se sont alors lancés dans la cuisine moléculaire. Nous également, on s’est interrogé sur ce phénomène car les clients étaient demandeurs et ils commençaient à dire que notre cuisine était « has been ». Moi, j’ai toujours refusé d’entrer là-dedans car suivre un courant est un non-sens. La cuisine moléculaire, c’est avant tout l’histoire de son créateur : Ferran Adrià. Et elle est aux antipodes de la nôtre. Aujourd’hui, je ne regrette pas du tout ce choix car tout le monde en est revenu et les nouveaux chefs ont pris conscience de la richesse de leur territoire.

Rendre hommage à son territoire, comme vous le faites, est-il une obligation pour un grand chef ?

Pour moi, tout passe par là ! Un cuisinier aveyronnais qui veut raconter une histoire normande, ça ne fonctionnera pas. Certes, il y a le territoire mais surtout l’histoire personnelle. Car on est continuellement guidé par nos émotions, nos souvenirs, notre enfance. Notre cœur parle dans nos assiettes.

Quand on s’appelle Sébastien Bras, où puise-t-on encore l’imagination ?

La création vit sans arrêt. Elle puise dans nos origines, nos rencontres, nos voyages, nos produits. Entre la carte de cette saison et celle d’il y a trois ans, il y a 90 % de nouvelles choses. Et c’est grâce à cela qu’on prend du plaisir. Comme je le disais, il n’y a vraiment rien de pire qu’une cuisine figée...

L’Aveyron offre-t-elle suffisamment de produits pour continuellement se renouveler ?

On a effectivement la chance d’avoir cette richesse. Certes, cela ne fait pas tout mais quand on a un bon produit, on part déjà sur de très bonnes bases...

Reste ensuite à le transformer, le magnifier. Dans cette étape justement, quelles sont les différences avec votre père dont vous avez pris le relais en 2009 ?

Si vous donnez trois produits identiques à Michel et à Sébastien, on n’en fera pas la même chose. Pour autant, il n’y a jamais eu de scission entre nos cuisines car on a toujours partagé le même fil conducteur : l’Aubrac. Et tout l’amour qu’on porte à ce territoire.

Comme votre père également, on vous voit rarement dans les médias et autres émissions de télévisions en vogue. Est-ce un choix ?

Il faut surtout dire qu’on n’est pas de très bons communicants (rires) ! En revanche, on choisit toujours nos supports par rapport à notre état d’esprit. Je ne renie pas la téléréalité car elle suscite des vocations. Mais je trouve qu’elle biaise un peu la réalité de nos métiers... Puis je crois qu’en tant que cuisiniers, on se doit de garder les pieds sur terre. Nous ne sauvons pas des vies comme les chirurgiens, on essaie seulement de vendre du bonheur, une expérience.

Ce bonheur justement, il a un prix dans une maison étoilée comme la vôtre. N’est-ce justement pas un regret pour vous de savoir que plusieurs locaux, modestes, ne pourront jamais s’asseoir à votre table ?

Quand on a ouvert le Suquet, il y a 25 ans, on avait effectivement perdu cette clientèle de locaux à notre grand regret. Cela a changé depuis plusieurs années. On voit de plus en plus des gens du pays venir même s’ils n’ont pas leurs habitudes dans les maisons étoilées. Voir assis à ma table une Japonaise qui a passé plus de quatre heures à s’habiller dans sa chambre d’hôtel juste à côté d’un ouvrier agricole, c’est une de mes plus grandes fiertés. Certes, manger chez Bras, c’est un budget mais surtout un choix. Combien paye un jeune pour une bouteille de whisky en boîte de nuit ? Pour le même prix, il a une expérience chez Bras. Et il s’en souviendra durant des années alors que la dernière bouteille, on s’en souvient moins (rires)...

Tout ce fil conducteur dans votre cuisine est-il finalement la clé du succès de la maison Bras ?

La clé du succès, c’est faire fi des modes, des « qu’en dira-t-on » et toujours raconter une histoire vraie et sincère. Cela parle aux clients. Un proverbe philippin dit « quand on oublie ses racines, on n’arrive jamais à destination ». Cela reflète l’esprit de la maison Bras.

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