Gastronomie Balade dans les jardins suspendus des Bras

La Gardelle. Le nom en lui-même est un appel à la poésie. Comme une éternelle ritournelle. Ou plutôt une pimprenelle et poireau perpétuel qui germent au pied de la maison familiale de Michel Bras.

L’ex-chef a passé la main à son fils Sébastien mais a greffé chez lui, depuis 14 ans, son jardin qui donne goûts et saveurs au restaurant étoilé du Suquet à Laguiole et au café Bras de Rodez.

« Venez voir les hémérocalles, nous en avons 70 variétés, et ici il y a la mertensia ». Michel Bras est dans son jardin au sens propre comme au sens figuré.

Prenant plaisir à faire goûter, sentir, humer, aimer, dépayser. Comme cette mertensia au goût d’huître en provenance d’Islande. Il est heureux dans son jardin comme se délectent les clients de son restaurant éponyme. Et l’on imagine mieux et comprend son inclassable gargouillou dans l’assiette.

D’une incommensurable créativité. Toutes les couleurs sont dans la nature. Les odeurs et les saveurs surtout.

C’est le sens du goût qui prime avant tout, alliant passion du jardin et fruit de la création des plats. « En fonction des voyages, de nos pérégrinations, nous amenons des nouveautés », dit en ce sens Sébastien Bras. Sur chaque bac est indiqué un pays (Tchad, Mali, Chili, Madère, Népal...) comme un appel au voyage, une invitation à butiner le jardin. « C’est le jardin du monde », résume Sébastien.

Le restaurant n’est finalement que le prolongement - l’aboutissement - de ce qui naît dans ce jardin qui se remplit d’odeurs et couleurs quand le printemps bat son plein. « Ce sont les hommes de l’ombre mais ce sont eux à mettre en valeur », confie alors Michel Bras entre les rangées d’ails (une quinzaine de variétés !) et de sauges en présentant les jardiniers James et Jean-Luc.

Et d’ajouter : « La rigueur britannique et le scientifique, ils sont complémentaires ! » Depuis six ans, ils réveillent le jardin en février jusqu’à la fermeture du Suquet et le temps de l’hibernation.

Ici, la « 3G » est maudite : grêle, guêpe et gel. Ainsi, les serres poussent aux abords de cet éden terrestre, l’une tropicale, d’autres pour faire face au climat de l’Aubrac. Des plantes meurent quand d’autres jouent les envahisseurs. Puis, Michel Bras, passionné (aussi) de photos, montre sur son ordinateur la cueillette d’un jour telle une palette de couleurs. « On en a toujours rêvé », résume-t-il avec simplicité pour évoquer son jardin nourricier et secret.

Ici, point d’herbes folles mais du labeur horticole. « C’est toujours un défi, on a toujours l’âme d’enfant », déclare Jean-Luc, l’ingénieur horticole originaire de Privezac.

Les pieds sur terre, la tête pour la méditation, il œuvre avec James dans l’esprit des Bras pour une culture raisonnée, sans pesticides ni produits chimiques. Parlant peu mais parlant aux plantes. « On s’excuse quand on leur marche dessus », glisse-t-il, avec un sourire aussi délicat qu’il en est nécessaire pour que la graine mûrisse.

« La manière de cueillir est importante », ajoute Michel, faisant référence aux nouveaux cuisiniers (un quart chaque année) qui foulent pour la première fois son écrin, arrachant ou coupant au sécateur avec bien trop de zèle et d’ardeur à son goût parfois. Car la base, l’essentiel est l’amour porté par les mots et les gestes.

Par l’attention. « Les saveurs changent en fonction des saisons. Nous faisons la cuisine du vivant avec ce que nous offre la nature et pas l’inverse », conclut Sébastien qui change sa carte chaque jour.

Il suffit de faire preuve d’imagination... Plus facile à écrire qu’à faire.

L’enjeu est de taille. Mais comme l’a écrit le philosophe Emmanuel Kant : « Le jardin est le lieu d’élection pour le libre jeu de l’imagination ».