Jérôme Chiotti : « Sky pense être dans l’impunité la plus totale »
Le Millavois Jérôme Chiotti, ancien cycliste professionnel et dopé repenti, s’est livré au sujet de cette édition du Tour de France, sans lanque de bois.
Il n’a rien perdu de son punch ni de son franc-parler. Le Millavois Jérôme Chiotti pose un regard sans concession sur ce Tour 2018. Libre dans sa tête, l’ex-coureur professionnel, qui a reconnu s’être dopé en 2000, évoque les soupçons qui entourent la participation de Christopher Froome à la Grande boucle, la domination de Sky ou encore les vingt ans de l’affaire Festina, équipe dans laquelle il roula entre 1995 et 1997. Actuellement en Italie, où il a enchaîné cette semaine plusieurs ascensions de cols, Jérôme Chiotti fait part d’un certain dégoût pour une course qu’il ne souhaite même plus regarder à la télévision.
Suivez-vous ce Tour de France 2018 ?
Je suis en Italie, je n’ai pas allumé la radio ou la télé de la semaine, et pourtant, les infos me parviennent par les réseaux sociaux et par le public italien, ici. J’ai appris que Froome s’était fait jeter des œufs en pleine course, qu’il s’était fait bousculer… C’était inévitable. Je l’avais annoncé avant la course. Sa situation est tellement floue… Moi, si je suis coureur cycliste aujourd’hui, je crie à l’injustice.
Qu’avez-vous pensé de la réintégration de Christopher Froome (1) au sein de la liste des engagés seulement deux jours avant le départ ?
C’est un scandale. C’est la démonstration d’une justice à deux vitesses. Des coureurs ont été pris avant lui avec les mêmes taux (de salbutamol, NDLR). Ils ont pris des suspensions d’un an. Lui, il paye sept millions d’euros de frais d’avocat et il a le droit de courir. Cela me choque que des mecs qui ont été condamnés pour les mêmes raisons ne bougent pas une oreille. Ce n’est pas normal que ces gars-là ne se révoltent pas.
À quoi pensez-vous, aujourd’hui, lorsque vous observez la domination de l’équipe Sky en montagne ?
On a eu la même avec US Postal, Once, Festina, Mapei… À la fin, on a toujours su où était la vérité. Avec Sky, cela fera pareil, tôt ou tard. De toute façon, on sent bien où est la vérité. Cette équipe pense être dans l’impunité la plus totale. On dit qu’il n’y a pas de preuve contre eux (les gens de Sky), que l’on ne peut pas les accuser comme ça, qu’il y a peut-être une injustice… Tout ça, ce sont des conneries qui me gavent. Maintenant, j’en suis convaincu : soit il y a une vraie politique pour lutter contre le dopage, soit on avance de plus en plus dans la mascarade.
Dans un entretien au magazine " Pédale ", Christophe Moreau, votre coéquipier chez Festina entre 1995 et 1997, explique que Festina, lorsqu’éclate l’affaire en 1998, était davantage dans le viseur des autorités que les autres équipes, du fait de sa domination. Vingt ans plus tard, pourtant, les mêmes schémas de course se reproduisent. Les instances n’ont-elles pas su tirer les conséquences de cette affaire ?
Les schémas se reproduisent et les mêmes issues se répéteront également dans quelques années, c’est évident. Le Tour a pensé qu’en enlevant un coureur par équipe, cela allait niveler la course. Il n’en est rien ! Vingt ans plus tard, vous avez la même équipe au-dessus du lot. L’équipe Sky veut nous faire croire qu’elle est pointilleuse sur tout. Ça me rappelle la diététique des Italiens avant qu’ils ne tombent. Ils ne savent plus quoi inventer. Quand vous voyez que Froome est bardé de certificats médicaux pour rouler, il y a un problème.
Quels souvenirs gardez-vous de cette époque Festina, vingt ans plus tard ?
D’une époque où c’était " open bar ". Aujourd’hui, il y a des progrès, des contrôles inopinés. Cela réduit la marge de manœuvre pour ceux qui veulent tricher. Mais il y a toujours des gens qui jouent et qui prennent des choses dissimulées…
Pour une large partie du public, le cyclisme souffre d’un manque de crédibilité…
Si j’en crois le nombre de spectateurs sur le bord des routes, c’est exact. Je crois que les gens en ont marre. Il n’y a plus rien d’intéressant, à part voir défiler les paysages. La course est pliée d’avance.
Cautionnez-vous les agressions à l’encontre de l’équipe Sky, et de Froome en particulier, dans les Alpes ?
Aucunement. Autant je le déteste, autant je trouve inadmissible de l’attendre pour lui mettre un coup-de-poing. Moi, à l’époque, je n’aurais pas aimé. Maintenant, que les instances fassent leur travail pour que cela ne se reproduise pas. Les agressions sont le signe d’un ras-le-bol. Le cyclisme ne sera pas réhabilité par l’opération du Saint-Esprit. Mais je me demande bien comment il peut redevenir crédible…
Cela ne passe-t-il pas par des décisions dès les catégories de jeunes, à un âge où le dopage commence ?
Si, mais en France, on manque d’éducateurs, on manque d’éducation, on n’est pas assez prévenus lorsque la carrière débute. Il n’y a pas assez de mises en garde. Pour autant, je ne crois pas les propos de ceux qui disent qu’il faut absolument prendre quelque chose à 16, 18 ou 20 ans pour " performer ". Il y a de quoi prouver sa valeur dans le peloton sans rien prendre, mais en ciblant ses objectifs. On est d’accord, cela restera toujours un fléau. Mais le jeune qui est bon naturellement, il peut faire face à tout le monde et passer pro sans toucher à rien. Aujourd’hui, il est possible de faire carrière sainement, mais pas de gagner le Tour sainement.
Quel regard portez-vous sur Julian Alaphilippe, le coureur français en vogue actuellement ?
Il a du punch, il est beau à voir courir, mais la progression est fulgurante. Je dis attention, danger. C’est un brave gars à qui on a envie de faire confiance. Antoine Vayer (un spécialiste de la performance, qui avait pointé les performances " surhumaines " de Froome), qui fut mon entraîneur à l’époque chez Festina, a déjà dit qu’Alaphilippe était limite, limite. Mais qu’en résultats de montée sèche, il était encore bon. J’ai envie d’y croire.
Que vous faudrait-il pour que vous repreniez du plaisir à regarder le Tour ?
Bonne question ! Il faudrait qu’on lève le secret médical et que l’on diffuse le bilan sanguin de chaque coureur. Mais sincèrement, je n’y crois pas trop.
Le Tour serait-il encore un spectacle sportivement ?
Oui, car il y aurait des défaillances. J’ai déjà noté un signe positif : les sprinteurs ont tous sauté dans les Alpes ! C’est bien un indicateur comme quoi il y a de l’amélioration dans la lutte antidopage. Là où tout le monde en a marre, c’est quand on voit les mecs devant se foutre de la gueule du monde. Ce sont eux qui font du mal au vélo.
(1) : Face aux soupçons qui pèsent sur Froome, ASO (Amaury Sport Organisation), société organisatrice du Tour de France, avait décidé d’exclure le Britannique avant de devoir le réintégrer.
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