Sébastien Bras sans ses étoiles : "Je ne regrette rien…"

  • Sébastien Bras, tout sourire  sur les hauteurs de l’Aubrac,  au Suquet.
    Sébastien Bras, tout sourire sur les hauteurs de l’Aubrac, au Suquet. Mathieu Roualdés
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Mathieu Roualdés

Un an après avoir choisi de quitter ses trois étoiles du guide Michelin, Sébastien Bras reste un homme heureux, développe des projets et s’en explique.

Perché sur "son" Aubrac, qu’il chérit toujours autant, Sébastien Bras affiche un grand sourire. Celui d’un homme détendu et heureux. Un an après avoir créé un petit "big bang" dans le monde de la gastronomie en tournant la page du guide Michelin, le chef aveyronnais ne cesse de le répéter : "Je ne regrette pour rien au monde ce choix". Entre deux services, il s’est livré sur cette nouvelle vie, loin des étoiles.

Un an après avoir rendu vos trois étoiles au guide Michelin, comment vous sentez-vous ?

J’ai fait ce choix et je ne le regrette pour rien au monde. Je ne renierai jamais ce que le guide a pu nous amener au niveau du prestige mais c’était devenu une tension permanente. Quand on est au sommet de la pyramide, le plus dur est d’y rester. Surtout dans le cas de mon épouse et moi car nous avons hérité ces trois étoiles qui avaient été octroyées à mon père, dix ans avant que je ne prenne les rênes de l’établissement. Je vais avoir 47 ans dans quelques semaines et je ne voulais plus de cette pression, de ce stress. C’est un choix de vie avant tout. Et on l’avait longuement réfléchi.

Cette première saison au Suquet sans les étoiles a-t-elle été une réussite ?

Le challenge a été relevé car le restaurant a conservé exactement la même activité que ces vingt dernières années. On est complet midi et soir de début avril jusqu’à la fin de la saison ! Donc, nous sommes fiers et heureux de cette année de transition. Car, comme tout le monde, nous avions une appréhension à l’ouverture des réservations.

Donc la tension est tout de même présente malgré ce poids enlevé du guide Michelin…

Oui mais c’est une autre forme de tension (rires) ! De toutes les manières, ma vie professionnelle n’a pas changé d’un iota. Je ne suis pas parti en semi-retraite en quittant le guide Michelin. J’ai toujours le même niveau d’exigence.

Qu’est-ce qui fait que vous vous sentez mieux aujourd’hui alors ?

De n’être plus que redevable envers mes clients. Et cela me permet d’être davantage détendu, serein dans mon travail. Aujourd’hui, lorsque j’ai envie de créer un plat, je ne me pose plus de questions… Je ne me demande pas si c’est dans l’air du temps, si cela correspond au standard "3 étoiles", si cela va plaire à tel ou tel guide. C’est mon cœur qui parle. Et lui seul. Je me sens plus libre.

De nombreuses rumeurs ont avancé que vous quittiez le guide Michelin car ce dernier s’apprêtait à vous enlever une étoile… Comment avez-vous perçu ces commentaires ?

Vous savez quand un restaurant est complet midi et soir, c’est la plus belle des choses ! Et la saison que je viens de faire confirme que les étoiles ne font pas tout. Qui fait vivre mon restaurant au quotidien ? Mes clients. Ils n’ont pas disparu avec les étoiles. Maintenant, je ne suis pas dans les petits papiers du Michelin pour savoir quelle allait être leur décision dans l’avenir concernant notre établissement.

Mais un restaurant qui perd une étoile est souvent un restaurant en perte de vitesse. Cela n’a jamais été notre cas donc rien ne nous prédestinait à perdre une étoile.

La clientèle a-t-elle changé depuis cette décision ?

J’ai eu plusieurs clients qui m’ont indiqué être venus car justement, nous n’avions plus les étoiles. Est-ce que cela leur faisait peur de venir avant ? Je ne sais pas mais ce qui est certain, c’est que notre offre, notre niveau de prestation et nos tarifs n’ont nullement changé. Et tous les gens ont semble-t-il compris notre décision. Et me disent souvent que j’ai eu raison.

Vous venez de lancer, avec votre père notamment, de nombreux projets pour le futur (restaurant à la fondation Pinault à Paris, maison d’hébergement Val d’Aubrac à Laguiole…). La marque Bras va-t-elle davantage se développer dans les années futures ?

Les projets font partie de l’ADN de la maison Bras. J’ai toujours vécu dans les travaux, la poussière, les rénovations. On a refait tout l’hôtel l’hiver dernier, tout le restaurant il y a quatre ans. La remise en question et l’investissement doivent être permanents dans une entreprise comme la nôtre. On a la chance d’être saisonnier donc lorsqu’on est fermé, on se consacre aux voyages et à travailler sur plusieurs choses. Mon père le fait désormais quasiment toute l’année.

Savez-vous si un inspecteur du guide Michelin est tout de même revenu chez vous cette année ?

(Rires) Non, je n’en sais rien. Le Michelin reste une nébuleuse mystérieuse…

Et vos confrères étoilés, quel regard portent-ils sur votre nouvelle vie ?

Il y a deux catégories : mes confrères avec 1 ou 2 étoiles ont été très surpris car leur rêve est d’atteindre le Graal de cette 3e étoile. En revanche, j’ai été très bien compris par les restaurateurs triplement étoilés…

Votre choix pourrait-il faire l’effet d’une boule de neige auprès d’autres chefs dans le futur ?

Je ne veux surtout pas me faire le chef porte-étendard d’une fronde anti-Michelin ! Notre décision est totalement personnelle.

Et votre père, Michel, n’a-t-il pas la nostalgie de cette période étoilée ?

Du tout, il m’a toujours soutenu dans cette décision. Il a parfaitement compris notre choix de vie. Il faut se rappeler qu’il y a 25 ans, on ne donnait pas cher de notre peau en ouvrant ce restaurant perdu au milieu de l’Aubrac. Puis, vous savez mon père est trois fois plus stressé que moi donc il ne pouvait que comprendre. La vie ne peut pas être faite que de stress et de tension. Ces trois étoiles étaient un rêve de gamin, on l’a porté pendant 25 ans. Puis, on a tourné la page. Mais sans refermer l’encyclopédie. C’est seulement une étape dans une vie.

* Le Suquet fermera ses portes le 11 novembre prochain. Avant de rouvrir en avril 2019 pour une nouvelle saison.

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