Millau. Marc Khanne : "Il faut rééduquer le loup au danger"

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  • Le réalisateur donne la parole aussi bien aux victimes qu’aux “amis” du loup. Un film tout en nuances.
    Le réalisateur donne la parole aussi bien aux victimes qu’aux “amis” du loup. Un film tout en nuances. DR
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Recueilli par Lola Cros

Diffusé ce soir, le documentaire "L’Heure des loups” donne la parole à des éleveurs aveyronnais.

Marc Khanne, pourquoi avoir choisi de réaliser un documentaire sur la présence du loup dans notre région ?

J’avais déjà fait des films autour des Cévennes et des causses, en lien avec des éleveurs et bergers. La problématique du loup s’est imposée en 2015. Car tous les éleveurs du causse Méjean que je connais se sont fait attaquer. C’était le moment.

Est-ce à dire que votre caméra est posée du côté des éleveurs uniquement ?

Pas du tout. Le documentaire met le spectateur sur les nerfs, car je zigzague d’arguments en contre-arguments sans cesse. Je donne la parole à des éleveurs, touchés jusque dans leur chair, à un éthologue. Je suis aussi des volontaires de l’association écologique PastoraLoup qui propose d’aider les bergers à garder les troupeaux. Leur point de vue est d’ailleurs très intéressant car ce sont des personnes qui veulent défendre le loup mais qui, confrontées à la réalité du terrain, deviennent plus mesurées. D’un côté comme de l’autre, le documentaire illustre la complexité du sujet, et permet de sortir des préjugés simplistes et de travailler les nuances.

Qu’avez-vous appris du sujet en trois ans de documentation et de tournage ?

Ce qui m’a le plus marqué, c’est que les éleveurs et les écologistes amis du loup ont finalement le même amour de la nature. C’est cruel, car les agriculteurs touchés par les attaques sont les plus respectueux de l’environnement. Ceux qui sortent les bêtes, qui ont une approche globale de respect de l’animal et de la biodiversité.

Quels sont les arguments "pro-loups" que vous avez entendus ?

Je n’aime pas ce terme. Les amis du loup défendent qu’il soit garant de la biodiversité. Mais ce n’est pas prouvé sur le terrain : parce que l’élevage recule quand arrive loup. Or, les zones dites "de parcours" des troupeaux sont des zones refuge pour la faune et la flore, qui ne peuvent trouver d’habitat dans les forêts ou les zones cultivées. Autre argument, le loup permettrait la régulation de la faune sauvage et la régénération de la forêt. Mais là encore, le loup est comme nous : il aime la facilité. Pourquoi irait-il courir après un chevreuil, s’il a un troupeau sous les babines. Il va donc au plus simple. Ainsi, on ne peut pas dire que le loup joue le rôle que les écologistes voudraient lui assigner.

En se basant sur une étude américaine qu’il a menée, l’éthologue que vous interrogez livre des pistes de réflexion intéressantes.

Il est à l’origine de la plus poussées des études sur le loup qui ait été menée, dans le célèbre parc de Yellowstone. La pratique américaine consiste à garder le loup à distance, à maintenir une pression sur lui. Le problème, c’est que, sans rentrer dans la technicité des tirs de défense autorisés au cas par cas en France, le loup est une espèce strictement protégée. Il n’a aucun prédateur, et il l’a bien compris. Il s’agit de le rééduquer au danger. C’est à l’homme de marquer son territoire, car si loup se sent en danger, il va l’éviter. Alors que s’il sent qu’il ne peut rien lui arriver, il viendra se servir jusque dans la ferme. J’ai des témoignages de paysans en ce sens.

Votre documentaire laisse une grande place à l’émotion des éleveurs. Pourquoi ?

La première nuit de tournage, le troupeau que je suivais a été attaqué. J’ai vu l’éleveur être obligé d’abattre ses bêtes pour abréger leur souffrance. J’ai de suite mesuré la différence entre la théorie et la pratique.

En conclusion, quel serait le message que vous voudriez faire passer avec votre film ?

Je voudrais attirer l’attention du public sur le fait que oui, on peut accepter le retour du loup mais en même temps, je veux montrer les dégâts qu’il fait sur l’élevage et particulièrement sur les dernières pratiques agricoles respectueuses de l’environnement, celles qui sont les premières menacées. Je termine le film avec le témoignage d’un éleveur qui, trois ans après une attaque, me dit avec humour : "Si en plus d’être éleveur, il faut être sniper, hors-la-loi, célibataire, travailler jour et nuit… Alors il me manque quelques qualités pour ce métier". Cela me semble être une façon très intelligente d’exprimer l’absurdité de ce qui est demandé aux éleveurs, aujourd’hui en France.

"L’Heure des loups" sera diffusé ce soir sur la Chaîne parlementaire (canal 13), puis rediffusé dimanche à 10 heures.
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