Tribunal de Rodez : insultes, menaces... Des prévenus qui "dégoupillent" et partent en prison

Abonnés
  • Me Laurent Belanger, avocat de l'un des deux prévenus.
    Me Laurent Belanger, avocat de l'un des deux prévenus. CPA
Publié le
Christophe Cathala

Deux affaires bien distinctes mais semblables sur le fond ont été jugées ce lundi après-midi au tribunal correctionnel de Rodez. Les deux prévenus ont été condamnés à de la prison ferme et conduits à la maison d'arrêt. 

Il aura fallu une bonne dose d'abnégation au tribunal présidé ce lundi après-midi par Abdessamad Errabih pour énoncer, au cours de deux affaires bien distinctes, la litanie d'injures et de menaces proférées dans le cadre des faits qui leur étaient reprochés, par les deux prévenus présentés en comparution immédiate. 

"Je vais manger du poulet... Je suis Al Capone !"

La première affaire impliquait un Villefanchois de 34 ans, maçon ayant bâti en quelques années un casier judiciaire lourd de 28 condamnations (violences, vols, menaces, rebellion...) et de trois ans de détention. Il comparait donc en récidive légale. Quelques jours après sa sortie de prison, le 5 mars au petit matin, il tire un coup de fusil depuis son habitation villefranchoise pour riposter à trois agresseurs qui jouent de la gâchette sur sa façade. Des faits qui n'ont pas vraiment été prouvés, mais le voisinage a bien entendu son coup de feu et, pris de peur, appelle les gendarmes. Dans le même temps, l'individu en fait de même, se dit être menacé, puis, en bon habitué des tribunaux "qui ne veut pas dénoncer", raccroche avant de reprendre le téléphone et... de menacer de mort les gendarmes: "Je vais vous montrer, j'ai quinze ans de prison dans ma tête, je vais vous fumer comme je fume mon joint... Je vais manger du poulet... Moi je tire sur tout le monde, je suis Al Capone ! J'ai des armes pires que vous..." font partie de son discours.

Coup de feu, de couteau et de cocotte minute

On passe sur le plat de menaces à connotations sexuelles qu'il ne peut réprimer. Il assure à la barre ne pas se souvenir de son second coup de fil (dûment enregistré par la gendarmerie), reconnaît avoir pas mal bu, veut protéger sa femme et ses deux enfants contre des agresseurs, ce qui motivait son coup de fil. Quant au coup de feu (d'un fusil de calibre 12 récemment acquis), il ne le nie pas. Mais quand les gendarmes arrivent, il est redevenu calme. Quoique. Il balance une cocotte minute sur la jambe de l'un d'eux et le blesse. 

Sa mère intervient alors et invite les gendarmes à sortir "avant que ça dégénère". Les forces de l'ordre s'éloignent pour calmer le jeu et vérifier si personne n'est blessé dans le quartier. A leur retour, le trentenaire s'est enfui avec femme et enfants. En stop jusqu'à Sète dans la caravane de sa tante. Pour échapper à ses agresseurs qui... habitent Sète. On nage en pleine confusion. Evidemment, les méchants qui lui courent après finiront par lui tirer dessus, il est blessé à une jambe, et au dos par un coup de couteau. Cette affaire sétoise est toujours en cours d'instruction. Il revient dare dare, toujours en stop, se faire soigner à Villefranche-de-Rouergue où l'attendent les gendarmes...  

Face au tribunal, il tente d'expliquer ce "pétage de plomb", dont il serait coutumier. "Je suis passé du calme à la bête sauvage", convainc-t-il sans mal. "Ce monsieur fait régner la terreur dans son quartier... Il n'a pas les codes pour la vie en société", prévient la procureure Fanny Moles qui requiert un an de prison ferme, son maintien en détention à l'issue de l'audience et l'interdiction de détenir une arme. 

"Je remercie le tribunal"

Me Laurent Belanger plaidera pour sa défense "le sens de la mesure" à l'adresse du tribunal. "Il a eu peur pour lui et sa famille qu'il estimait être en situation périlleuse. Au lieu de garder son sang-froid, il a bu beaucoup trop... Mais les réquisitions sont excessives". "Oui, j'ai bu, j'ai paniqué, alors que les gendarmes venaient pour m'aider... Je regrette bien d'avoir pété un fusible", confie le prévenu au tribunal qui suit les réquistions du parquet ramenées à dix mois de prison ferme. Une peine qu'il évalue lui-même comme étant honnête : "Je remercie très sincérement le tribunal... Et je vous assure que je ne ferai pas appel !"

378 SMS d'insultes en 8 jours

La seconde affaire a mis en scène un autre prévenu habitué au "pétage de plomb" et soigné pour cela depuis un an, par un suivi psychiatrique. Le tribunal retiendra d'ailleurs à son bénéfice "l'altération du discernement au moment des faits". Ceux-ci se sont produits du côté de Laissac dans la semaine du 1er au 8 mars. Un homme de 39 ans, livreur et titulaire d'un casier chargé de 20 condamnations (vols, outrages, menaces, délits routiers...), est en couple depuis quatre ans avec une jeune femme quand celle-ci, lassée des crises d'agressivité dont il est capable (elle a reçu des gifles et des menaces par le passé), décide de prendre du recul. Et plus encore, en s'affichant sur sa page Facebook en train d'embrasser un autre homme, aujourd'hui son compagnon. Le livreur délaissé voit rouge et trouve les mots pour traduire son ressenti. Via des messages écrits (et conservés par la victime) : 378 SMS en 8 jours ! Nombre d'entre eux seront lus à l'audience, ils reflètent tous la haine, les insultes à caractère pornographique et ethnique (son ex-compagne est noire), les menaces de mort à l'égard du nouveau compagnon... On y trouve une bonne centaine de "sale pute" et le reste est pire encore (si cela est possible).  Un harcèlement qui se prolonge par des déplacements devant le domicile de la jeune femme, devant son lieu de travail. Au point  d'altérer sérieusement ses conditions d'existence et son état de santé. 

Suivi psychiatrique

A l'audience, il faut de la patience au tribunal face à cet homme qui parle sans discontinuer de sa propre condition, au point de convaincre le président qu'il "se pose en victime égocentrée". Et qui finit par reconnaître du bout des lèvres les violences morales qu'il inflige à sa victime. "Je suis désolé, je m'en suis excusé auprès d'elle", lâche-t-il. 

Mais le préjudice est réel martèle la procureure en s'appuyant sur le nombre de violences morales infligées par cet homme "à qui la justice a souvent fait confiance jusqu'alors, avec des sursis et mises à l'épreuve". Et de requérir (avec la révocation de la contrainte pénale dont il fait l'objet), 16 mois de prison ferme, un suivi sociojudiciaire sur cinq ans, l'interdiction de rencontrer ses victimes...

Me Christelle Cordeiro veut tempérer les ardeurs de la justice envers un prévenu "qui a toujours respecter ses obligations pénales" qui est assidu à ses obligations de soins. Elle relève que les psychiatres "disent qu'il n'est pas dangereux", qu'il a rendu bien des services à sa victime, "l'amour de sa vie". Cela étant, "dans ses délires, il ne sait plus ce qu'il dit. Il a besoind'être suivi de façon sévère, il est en souffrance. Et la prison réduira à néant tous les efforts qu'il a fait jusqu'à présent". Me Cordeiro plaide un aménagement de peine avec travail d'intérêt général. 

Le tribunal ne la suivra pas: 18 mois de prison ferme avec maintien en détention et suivi sociojudiaire sur cinq ans. Et parmi les peines, l'interdiction de rencontrer ses victimes et 500 euros à verser à la jeune femme, qui s'était portée partie civile, au titre du préjudice moral.  

Cet article est réservé aux abonnés
Accédez immédiatement à cet article
2 semaines offertes
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?