Saint-Félix-de-Sorgues : le secret, l’artiste et le fonctionnaire

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JDM

En 2012, le village de Saint-Félix apprenait qu’il avait abrité des toiles de l’artiste russe Vassily Kandinsky pendant la Seconde Guerre mondiale. Depuis, deux férus d’histoire ont continué les recherches allant de surprises en découvertes.

Un soir, en 2012. Il est près de 22 heures quand André Gozzi, correspondant de presse dans son village de Saint-Félix-de-Sorgues, reçoit un appel. "Un jeune homme de 84 ans, vivant dans le Calvados, qui avait un secret à confier", se souvient parfaitement André Gozzi. Un secret si bien gardé qu’il allait, à Saint-Félix, créer l’événement.

à l’autre bout du fil : Michel Redon, fils d’Émile Redon, un enfant du village, devenu haut fonctionnaire à Paris après la Première Guerre mondiale. " Lui-même, Michel, ne savait pas grand-chose de ce qu’il allait me confier, mais tout laissait à penser que c’était le moment, pour lui, de transmettre ce secret en mémoire de son père, reprend le témoin. C’est là qu’il me dit que des œuvres de Vassily Kandinsky ont été cachées, pendant la guerre, dans le garage de sa famille à Saint-Félix. " à peine Michel se souvient-il, la dizaine énergique, s’être fait tirer les oreilles pour avoir trop "sauté sur ces caisses de bois", dont personne alors, si ce n’est son père, ne connaissait la teneur. Et encore moins la valeur.

"Je devais la vérité à Michel Redon"

Premier mis dans la confidence, André Gozzi s’engage à remonter le fil de cette histoire hors norme. Rapidement rejoint par un autre amoureux d’histoire dans le village, Arnaud Bosc. Tous deux se jettent dans les livres, s’immiscent dans la vie de Vassily Kandinsky et celle d’Émile Redon. "Je devais la vérité à Michel Redon", souffle André Gozzi.

C’est à Paris, entre les rayonnages de la bibliothèque Kandinsky, hébergée au centre Pompidou, que viendront les premières réponses. "J’étais comme un gosse, se souvient Arnaud Bosc. Quand je suis tombé sur le répertoire de Kandinsky qui mentionne, à la lettre R, Émile Redon, j’ai tout de suite appelé André." Et ce dernier de poursuivre : "Nous n’avons jamais douté de la parole de Michel Redon, c’était trop gros pour être inventé. Mais là, nous avions la preuve que Kandinsky connaissait Émile."

Connu dans le village, Émile Redon l’était surtout pour avoir aidé des jeunes de Saint-Félix à entrer dans la police parisienne. En épluchant les archives, Arnaud Bosc retrouve des échanges entre Kandinsky et le juge Burguière, entre qui Redon aurait arrangé la rencontre pour faciliter la naturalisation de Kandinsky. Réfugié en Allemagne après avoir fui la Russie, Kandinsky est à nouveau chassé sous l’ère hitlérienne. Considéré avec d’autres comme un artiste "dégénéré", il rejoint Paris. C’est donc en demandant sa naturalisation en France qu’il a rencontré Émile Redon.

De maigres traces

"Évidemment, à cette période, beaucoup de choses se disaient à l’oral mais on évitait au maximum les traces écrites, rappelle Arnaud Bosc. Quelques zones d’ombre persistent, notamment sur le moment où Kandinsky a décidé de donner toute sa confiance à Émile pour cacher ses 65 toiles. On imagine assez bien l’échange : Redon a dû lui dire que dans son village perdu, en zone libre, les tableaux ne risquaient rien." Plusieurs listes, dont les deux compères ont retrouvé les originaux à Paris, mentionnent très précisément les titres de chaque œuvre prêtée et son estimation marchande en francs. Des listes certainement destinées aux assurances, qui sont surplombées d’une en-tête claire, indiquant que ces œuvres rejoignent "dans des caisses le village de Saint-Félix-de-Sorgues (Aveyron)". "Au début, reprend Arnaud Bosc, on pensait que Kandinsky n’était pas connu à l’époque comme il l’est maintenant. C’est faux : ses œuvres étaient déjà dans les plus grands musées du monde en 1940. Et l’identification des œuvres de Saint-Félix, certifiée par des experts, montre qu’il s’agissait sûrement de sa collection personnelle, avec certains de ses plus grands chefs-d’œuvre." Décédé en 1944, Kandinsky n’aura jamais revu ses caisses. Elles ont été restituées à sa famille quelques années plus tard. Pas peu fiers d’avoir "réhabilité" l’histoire de Saint-Félix à travers celle du discret Émile Redon, André Gozzi et Arnaud Bosc n’ont pas dit leur dernier mot. Les recherches continuent.

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