Laissez-vous conter Notre-Dame de Rodez

On les croyait invulnérables, emmitouflées dans leurs épais manteaux de pierres, immuables dans la solidité d’un temps figé, fleurs de Ciel posées sur terre pour l’Éternité, dressant hardiment "leurs flèches et leurs clochers qui ne peuvent faillir" (Charles Péguy) vers une immensité résonnant à jamais de leurs carillons…

Mais on l’a vu, ressenti et compris, en à peine une heure de temps, à Notre-Dame de Paris, les cathédrales peuvent "poser genoux à terre", brûler leur âme de bois millénaire comme feuilles sèches…

Épisode 1

L’édification de la cathédrale gothique de Rodez débute en 1276, après l’effondrement du clocher sur le chevet de l’ancien édifice roman.

Un mois avant, l’évêque de Rodez alarmé par l’état de délabrement de l’édifice vieux de plusieurs siècles, avait pris soin de mettre à l’abri la belle table de marbre ciselé de l’autel majeur, remontant à l’an mille.

Au matin de l’effondrement, deux possibilités s’offrent à l’évêque Raymond de Calmont d’Olt, issu d’une des plus illustres familles du Midi de la France : reconstruire la partie détruite et conserver l’ancien édifice ou profiter de la prospérité de la ville, des campagnes et du clergé, en osant une nouvelle cathédrale, comme celles du nord du Royaume, mais aussi plus proches, à Limoges, Narbonne, Clermont d’Auvergne…

Le choix est fait. Ce sera Notre-Dame de Rodez, bâtie en grès rose et avec un chantier que l’on espère peut-être achever en un ou deux siècles. Mais bâtir une cathédrale reste une épopée humaine, la grande traversée d’un océan inconnu à travers les tempêtes de l’Histoire…

Le maître d’œuvre, l’architecte a été choisi par l’évêque et son chapitre de chanoines pour établir les plans de la nouvelle cathédrale, diriger la construction et engager les maîtres artisans qui travailleront sous ses ordres avec de nombreux ouvriers : les carriers dont la science consiste à savoir reconnaître les endroits où creuser, les tailleurs de pierre, les "imagiers" ou sculpteurs, les gâcheurs ou "morteleurs" de chaux grasse, les maçons, les charpentiers, les forgerons, les couvreurs, les verriers…

La première pierre est posée le 25 mai 1277. À l’est, dans le chœur, là où viennent se poser les premiers rayons de soleil, comme une présence divine. Un signe. Cette pierre est bénie avec une grande solennité par l’évêque, entouré des chanoines, et de la grande foule des habitants, parmi lesquels apparaissent, les nobles, les marchands, les artisans et peut-être des paysans des campagnes proches. Ensemble, ils assistent au prélude d’un projet insensé…

Le chantier commence par le chœur et se poursuivra d’est en ouest jusqu’au XVIe siècle.

Soit trois siècles de construction… Et malgré l’étalement du chantier dans le temps, l’édifice semble très homogène, grâce au matériau employé : le grès rose, mais surtout grâce à un plan et un dessin d’ensemble assurés par la direction continue du chantier par le chapitre cathédral et ce tout en intégrant les évolutions stylistiques propres à chaque époque.

Il faut peut-être imaginer un plan dessiné sur un parchemin, en peau de mouton ou de veau, tannée et poncée avec soin, et un ou des dessins dessus, des traits, des mesures, des chiffres. Il est peut-être de la main de l’architecte qui à face à lui, l’évêque l’ayant sollicité, et à ses côtés, des chanoines dont un, le chanoine ouvrier, qui sera chargé de veiller à la bonne marche du chantier et de sa comptabilité. On est sans doute dans une maison proche du sanctuaire. Peut-être la maison de l’œuvre, là où maçons, tailleurs de pierre et maîtres d’œuvre se retrouveront pour étudier à nouveau le plan sur les trois siècles à bâtir. Peste, guerres, famines etc. n’arrêteront pas le même geste des hommes, revenir au plan conservé précieusement et le laisser aux autres.

À suivre