Conques-en-Rouergue. Nicolas Hulot, à Conques le mardi 14 mai
En conférence au Centre européen de Conques, le président d’honneur de la fondation pour la Nature et l’Homme, en appelle à sortir "des confrontations partisanes et stériles" pour "inventer un nouveau modèle économique à la fois solidaire et écologique".
Pourquoi la solidarité au XXIe siècle n’est plus une option ?
De tout temps, les inégalités ont existé. Mais aujourd’hui, un facteur a changé : nous vivons dans un monde connecté où les exclus ont une vue sur les inclus. Ils ont pleinement conscience de leur exclusion. Si l’on rajoute à cela un sentiment terrible, celui de l’humiliation, la situation devient critique. Je vais prendre un exemple : lorsqu’une femme en Afrique perd son enfant, comme c’est le cas pour 20 000 à 30 000 d’entre elles chaque jour, elle ne peut que s’incliner devant la douleur. Mais lorsqu’elle apprend que l’on peut apporter des bouteilles de soda jusqu’à elle et pas de médicaments contre le paludisme, l’injustice est là. Cet exemple illustre pour moi les tensions qui agitent notre monde. Selon que vous naissiez ici ou là, votre avenir est déjà grandement déterminé pour le meilleur ou pour le pire. Et, de fait, la solidarité n’est plus une option au regard de la situation explosive du moment.
Que peut-on faire ?
Les solutions existent du moment où l’on sort d’un système économique libéral qui finira par se détruire lui-même. La question écologique n’épargnera personne. Nous devons rentrer dans un modèle de juste échange. Pour cela, le pouvoir politique doit reprendre la main. Nous n’avons plus le temps des confrontations partisanes et stériles.
Justement à quelle échelle le pouvoir politique peut-il agir ? En ce sens, les élections européennes du mois de mai seront-elles décisives ?
L’Europe représente aussi bien un espoir économique que politique. De l’Europe, doit jaillir un nouveau modèle qui est celui du partage. Si les 28 états européens s’unissent, et contrôlent le monde financier de plus près, un véritable changement peut avoir lieu. Si tous les États d’Europe sont unis derrière cette idée, aucun banquier n’ira s’exiler. Là encore, l’union reste la principale force de l’Europe.
N’est-ce pas utopique ?
Je ne veux pas céder au fatalisme. Tous les outils sont aujourd’hui sur la table pour pouvoir agir. Pour inventer un nouveau modèle économique, à la fois solidaire et écologique. Nous devons changer d’échelle. S’épargner les querelles stériles, les disputes idéologiques creuses. Faire les choses, seul de son côté, cela n’a jamais marché.
Regrettez-vous d’avoir été au gouvernement ?
Non, je ne le regrette pas. Cela a été une expérience nécessaire. Mais faire supporter tout le poids d’une telle responsabilité sur les épaules d’un seul homme, alors que c’est par essence un enjeu collectif, ce n’est pas possible. Je l’ai toujours dit, et c’est un fait que je regrette, le ministre de l’Écologie est insignifiant face à la puissance de Bercy et à la logique dominante de l’instant.
Votre départ a-t-il produit l’effet d’un électrochoc ?
Je me suis rendu compte qu’à la suite de ma décision, il y a une certaine prise de conscience en France et en Europe qu’il fallait agir.
La mobilisation des lycéens en est-elle l’exemple ?
Un sentiment de satisfaction se dégage de ce mouvement mais je suis également mal à l’aise. Car ce sont nos enfants, et pas nous, qui descendent dans la rue et qui nous alertent sur la situation.
Pourtant, une mobilisation massive est possible. L’élan de générosité lorsque la cathédrale Notre-Dame a été ravagée par un incendie en est l’exemple. Mais nous attendons que les flammes soient visibles pour nous mobiliser.
Celles de la crise écologique sont moins visibles, mais les enjeux sont pourtant immenses. Le rapport de l’IPBES, (plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, rendu public lundi 6 mai, NDLR), fait froid dans le dos. Un million d’espèces animales et végétales – soit une sur huit – risque de disparaître de la surface de la Terre, rapidement.
Des solutions immédiates peuvent-elles être mises en place ?
Mille choses peuvent être lancées, immédiatement : inscrire l’interdiction du glyphosate dans la loi, créer un guichet unique pour y voir plus clair parmi tous les dispositifs qui existent en matière de rénovation thermique de l’habitat, remettre la question la fiscalité carbone sur la table, avec un mécanisme redistributif, investir dans les transports en commun, refuser de ratifier les accords de libre-échange climaticide (CETA par exemple) etc.
Tout cela coûte, bien sûr ; il manque aujourd’hui 55 à 85 milliards d’euros annuels mais il est possible de trouver les financements nécessaires.
Il faut s’affranchir des dogmes budgétaires en sortant les investissements de la transition écologique du calcul du déficit public. La France peut dès maintenant porter cette idée, les traités européens nous en laissent les marges de manœuvre comme l’explique l’économiste Alain Grandjean dans son livre Agir sans attendre (1).
La question du loup, particulièrement prégnante en Aveyron, loin de satisfaire les éleveurs comme les défenseurs de l’animal n’est toujours pas tranchée. Que préconisez-vous ?
La question du loup est un cas d’école. Chacun a une approche différente, une grille de lecture, particulièrement en fonction de son positionnement. Lorsque l’on se place du côté de l’éleveur, on peut comprendre son désarroi, même chose du côté de ceux qui défendent le loup.
Chacun voit midi à sa porte. Nous devons plutôt nous interroger sur notre responsabilité collective.
Le récent rapport mondial de l’IPBES alerte sur la disparition rapide de la vie sauvage, ce qui menacerait l’humanité. Alors, chacun souffrira-t-il de son côté ou allons-nous tous souffrir ensemble ?
Une conférence à Conques
Nicolas Hulot, président d’honneur de la fondation pour la Nature et l’Homme sera au Centre européen de Conques, mardi 14 mai à 20 h 45, pour une conférence intitulée « La solidarité au XXIe siècle n’est plus une option ». Réservation des places au 05 65 71 24 00.