Dominique Reynié : "Les Français ne veulent pas sortir de l’Europe"

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  • Dominique Reynié : « Les partis populistes ont plutôt un avantage au départ».
    Dominique Reynié : « Les partis populistes ont plutôt un avantage au départ». CP
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Centre Presse Aveyron

Habitué des plateaux de télé, le politologue ruthénois Dominique Reynié, nous parle élections europénnes.

Omniprésent dans les médias, le Ruthénois Dominique Reynié garde un regard attentif sur l’actualité politique. A quelques jours de l’élection européenne, le politologue, directeur général du cercle de réflexion "la Fondation pour l’innovation politique" et directeur de la série L’Opinion européenne, évoque les grands enjeux de ce scrutin. Pour lui, "les Européens et les Français n’ont pas suffisamment été alertés de la portée de ces élections."

34 listes, plus de 2600 candidats… Que nous indique cette explosion du nombre de listes à l’élection européenne ?

Cette explosion est sans doute la conséquence de plusieurs choses. Premier élément d’éclairage, les grands partis politiques ne se sont pas encore relevés de ce qui est arrivé en 2017. Les différentes autres forces politiques ont donc le sentiment qu’elles ont quelque chose à gagner dans la grande redistribution des cartes et tentent leur chance. Il faut aussi reconnaître que la proportionnelle dont on parle souvent, la proportionnelle intégrale, est ici très favorable a ces aventures. Vous pouvez espérer faire 3 % et être remboursé de vos frais, faire 5 % et avoir un élu. Ce système est incitatif. Cet éclatement du nombre de listes correspond à la fois à l’expression d’une crise et au résultat d’une logique de système.

Alors même que les prérogatives et les pouvoirs du Parlement européen ne cessent de se développer, la participation aux européennes chute (de 14 points en moyenne en l’espace de 25 ans). Pourquoi l’intérêt pour cette élection est-il si faible ?

C’est vraiment une question préoccupante. D’une manière générale, les électeurs, les Européens et les Français, n’ont pas suffisamment été alertés de la portée des élections européennes, de l’importance de ce scrutin. C’est vrai depuis 1989.

Pourquoi ?

Nous sommes sans doute très habitués aux élections législatives nationales et l’on voit un peu moins bien comment ça marche au niveau européen. C’est plus loin et ça paraît plus compliqué. Ça ne l’est pas, mais ça paraît plus compliqué. On ne rencontre presque jamais son député européen, sinon quand il est de la famille, ce qui est rare. C’est aussi ce sentiment de distance vis-à-vis de cette classe européenne, un peu spécifique, un peu à l’écart de tout. Je crois qu’il y a aussi une tendance à l’abstention, quelles que soient les élections, même à la présidentielle de 2017. Même au second tour, dans un face-à-face Marine Le Pen – Emmanuel Macron dont tout le monde se souvient, on a battu pratiquement tous les records d’abstention en France (25 %) Il était certes un peu plus haut en 1969 mais nous avions à cette époque deux candidats de droite modérée qui se ressemblaient comme deux gouttes d’eau… Il y a une tendance forte à l’abstention qui contient aussi une forme de protestation, de dépit, d’insatisfaction qui s’expriment comme cela.

Que dire de la campagne électorale ?

Je dois l’admettre, la campagne électorale, quand on essaie de la suivre, est désolante. C’est triste parce qu’on ne voit pas du tout à quel moment il est question de projet européen, avec qui on va le porter, avec quels alliés, comment ça peut marcher. Sans être technique bien sûr, ni très spécialisé. De discuter au moins de projet européen et de dire au citoyen avec quelle majorité on peut espérer avancer dans tel ou tel domaine. Nous sommes davantage dans une logique de campagnes très nationales qui paraissent très décalées aux électeurs qui finissent par ne plus s’y intéresser.

On entend aussi souvent que l’abstention fait le jeu des extrêmes, du populisme ?

Depuis les années 90, le populisme a beaucoup progressé en Europe, surtout chez ceux qui votent à droite et qui sont sur une ligne plus identitaire. Étrangement, ces populistes-là recrutaient des électeurs dans les classes populaires qui sont celles qui s’abstenaient beaucoup plus que les autres. L’ancien Front national (FN) ne faisait pas un bon score aux européennes, une élection difficile pour lui et il n’atteignait pas les 10 %. Il était même très en dessous. Depuis 2014, on assiste à un changement impressionnant. Pas seulement en France où le FN fait presque 25 %. Électoralement, c’est le premier parti de France qui recrute non seulement dans les catégories populaires mais aussi les classes moyennes. Donc aujourd’hui, l’abstention est plutôt au détriment des partis pro-européens modérés dont les électeurs sont plutôt en retrait, alors que le populisme bénéficie d’un nouveau contexte que l’on avait pas observé avant 2014 qui est, pour résumer : plus on participe, plus on proteste. De ce fait, les partis populistes ont plutôt un avantage au départ.

En pleine crise du brexit, le projet européen a du plomb dans l’aile ?

Non je ne crois pas du tout. C’est assez bizarre, on a une très grande différence entre d’un côté le débat médiatique national où, d’une manière assez frappante, les acteurs politiques ont le sentiment que pour être visibles, il faut plutôt dire du mal de l’Europe et la réalité de l’opinion, celle des électeurs qui en réalité ne veulent pas sortir de l’Europe, ni en France, ni ailleurs. Les Européens sont très convaincus qu’en dehors de l’Europe ils auraient beaucoup plus de mal à affronter la Chine, la Russie, les États-Unis, Google, Facebook, la crise financière, le réchauffement climatique, l’immigration… Tout ça fait plutôt penser aux Européens qu’il faut s’entendre entre voisins plutôt que tenter l’aventure en solitaire. On passe en somme d’une époque où l’on était pro-européen pour sortir des guerres terribles entre Européens à une époque où l’on est Européen de façon plus pragmatique. Pour faire face à la mondialisation, s’en protéger d’ailleurs et s’y projeter avec plus de succès.

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