Roquefort-sur-Soulzon. Le roquefort Papillon entre dans une autre dimension
En pleine crise avec Société, la filière roquefort s’apprête à céder un nouvel industriel à un grand groupe agroalimentaire.
Véritablement, l’information ne surprend personne. Parce que le groupe Bongrain, devenu Sanvencia (lire par ailleurs), a noué des accords de commercialisation avec Papillon depuis plus de dix ans. Pourtant le projet d’acquisition de Papillon, qui entre dans sa dernière phase avant officialisation, achève un peu plus une filière roquefort déjà à cran suite à la commercialisation du bleu de brebis Société. Les quelque 90 employés de Papillon, sur les sites de Roquefort et l’unité de fabrication de Villefranche-de-Panat, en ont été avisés en début de semaine. "On assiste à une stratégie globale de perversion des Appellations d’origine protégée (AOP), s’insurge José Bové. Comme Lactalis, Bongrain se développe en utilisant un produit reconnu pour en vendre un autre, au mépris du savoir-faire, du territoire, du cahier des charges qui font la renommée d’un fromage comme le roquefort." Près de trente ans après l’arrivée de Lactalis dans le giron des industriels de roquefort, l’ex-député européen estime que le rachat par Sanvencia "c’est une deuxième digue qui cède " face aux " attaques de l’agro-industrie".
"Une terrible nouvelle pour le territoire"
Au-delà des craintes d’affaiblissement de l’AOP et de délocalisation de l’emploi, que l’on retrouve dans la bataille contre le bleu de brebis, Sanvencia devient le troisième grand groupe agroalimentaire à intégrer le "cercle des 7 industriels fédérés par la Confédération générale de roquefort, après Lactalis (marque Société) et Sodiaal (marque La Pastourelle), au milieu des "petits" que sont Combes, Carles, Vernières et Gabriel Coulet.
Bénéficiant d’une notoriété haut de gamme dans le roquefort, Papillon avait été créée en 1906 par Paul Alric. Restée dans le giron familial jusqu’à la fin des années 1990, la société a été rachetée par l’homme d’affaires Francis Farines, décédé en 2016. Aux côtés de l’huile d’olive qui a fait sa fortune, d’une chaîne d’hôtels et d’un cabinet d’expertise comptable, Papillon est aujourd’hui encore propriété du groupe Farines, repris par les héritiers de l’homme d’affaires milliardaire, avec sa fille Marie Farines en première ligne.
Avec un chiffre d’affaires annuel avoisinant les 35 M€, l’entreprise Papillon se trouve être hors de portée de producteurs de lait locaux qui, avant de s’organiser pour la reprise de la Fromagerie des Artisous à La Cavalerie, imaginaient se positionner pour son rachat. "Petit à petit, rachat par rachat, des incidences graves pèsent sur la qualité du produit, les éleveurs et les salariés, souligne encore José Bové. Toutes les cartes sont brouillées. Une chose est sûre : c’est une terrible nouvelle pour le territoire. " Convaincu que le sursaut doit venir du consommateur, l’ancien du Larzac se désole d’un "moment invraisemblable " et craint que la grand-messe du roquefort, organisée pour la première fois ces samedi 8 et dimanche 9 juin, soit, dans ce contexte, "plus un enterrement qu’une fête ".
“Panama papers” et “roi des copies”
S’il a changé de nom en 2015, devenu Sanvencia Fromages & Dairy, le groupe Bongrain est, dans le monde agricole, connu comme le loup blanc. Deuxième groupe fromager français, il est coté en Bourse et est porté par des marques populaires, à commencer par Tartare, Saint-Agur, Saint-Albray, Caprice des Dieux, Saint-Moret ou encore Cœur de Lion. Dans le livre Les cartels du lait : comment ils remodèlent l’agriculture et précipitent la crise, cosigné par Elsa Casalegno et Karl Laske, Sanvencia apparaît comme faisant partie d’un groupement d’industriels qui se seraient entendus pour tirer les prix du lait auprès des éleveurs vers le bas, tout en augmentant ses profits. Déjà avec la commercialisation du Saint-Agur, « première concurrence déloyale du roquefort » comme le résume José Bové, le groupe s’était attiré les foudres de la filière sud-aveyronnaise. En 2016 aussi, le PDG du groupe familial, Alex Bongrain, par ailleurs 109e fortune française en 2018, figurait parmi les Français impliqués dans les “Panama Papers”, pour des montages financiers édifiants, impliquant six sociétés offshore utilisées par la famille Bongrain dans quatre paradis fiscaux différents.
Silence radio aux sommets
Contacté, le groupe Sanvencia, Fromages & Dairy a indiqué ne pas vouloir commenter ce projet de rachat. Par mail, la directrice de la communication a confirmé qu’un « projet d’acquisition des activités fromagères Papillon a été soumis à l’examen des représentants du personnel » du groupe. Du côté de Roquefort-sur-Soulzon, les salariés de Papillon auraient été informés que des « négociations » sont « en cours », d’abord oralement la semaine dernière, puis avisés par un courrier en tout début de semaine. Le directeur commercial de Papillon, Walter Muller est resté, quant à lui, injoignable malgré de multiples sollicitations. Papillon appartient aujourd’hui au groupe Farines, depuis le décès en 2016 de Francis Farines, ex-patron de l’entreprise qu’il avait rachetée à la famille fondatrice de Papillon, la famille Alric, en 1998. Jusqu’en 2013, Papillon fournissait, avec plus de 2 000 tonnes de roquefort par an, quelque 12 % de la production globale du “Roi des fromages”.
Le chiffre
- 120
Comme le nombre de producteurs indépendants chez qui Papillon collecte le lait de brebis pour la fabrication de roquefort.
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