Decazeville : l'exotisme de Darline pimente le quotidien de La Cantine

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  • Darline Beltramon, entourée de son mari, Wilfried, et d’Eve, qui apporte son aide au restaurant de la rue Gambetta.
    Darline Beltramon, entourée de son mari, Wilfried, et d’Eve, qui apporte son aide au restaurant de la rue Gambetta. Repro CPA
Publié le , mis à jour
François Cayla

Haïtienne d’origine, la quadra assumée et son mari, Wilfried, ont repris avec bonheur le restaurant decazevillois.

La Cantine. Dit comme ça, l’expression ne paye pas de mine. Et pourtant, le petit restaurant qui s’y rattache, à Decazeville, dans la rue Gambetta, s’est aujourd’hui fait un nom et une place dans le décor gastronomique local. Sous l’œil coopératif et engagé de son mari, Wilfried, le patron, ici, c’est Darline Beltramon. Darline est née en Haïti, il y a tout juste 44 ans. Pas de souci : de son âge, la quadra assumée ne fait aucun mystère. « Il ne manquerait plus que ça ! », s’exclame-t-elle dans un grand rire.
Darline, c’est ça. Un sourire et un rire communicatifs. Une convivialité et une jovialité débordantes. Un regard joyeux, mais que l’on devine occupé à chercher des réponses et des explications, à tout, à rien. Pour le coup, on est un peu loin des fourneaux. Mais quand on discute avec Darline, que l’on découvre en elle une beauté aussi marquée à l’extérieur qu’à l’intérieur, les affaires culinaires sont quelque peu remisées dans les placards de la cuisine.

« Ça n’a pas marché »

Si Darline a donc vécu son enfance en Haïti, elle a très vite eu la bougeotte. Pour des raisons qu’elle ne tient pas forcément à exprimer, elle a successivement posé ses valises à Panama, à Aruba (île néerlandaise de la mer des Caraïbes située au large des côtes du Venezuela), à Saint-Martin, à Saint-Barth…
Au hasard d’une de ses escales exotiques, elle rencontre Wilfried, Français vadrouilleur originaire du Var, qui n’a rien trouvé de mieux que de vendre des voitures de l’autre côté de l’Atlantique. Ils se marient et, dans les années qui suivent, trois enfants viennent enrichir la famille Beltramon.
On est au début des années 2000, et l’idée de rejoindre la France fait son chemin. Jusqu’à Millau, où le CV de Wilfried a retenu l’attention d’un négociant en automobiles. « On a beaucoup aimé Millau, se souvient Darline. Mais ça n’a pas marché. Par ma faute. On a donc essayé de s’installer à Vergèze, dans le Gard. Mais ça n’a pas marché non plus, toujours par ma faute. Je n’ai pas réussi à m’adapter au froid et à certains côtés de la mentalité française, notamment l’individualisme. »
Le besoin de s’en repartir vers des contrées plus « chaleureuses » se fait à ce point sentir que toute la bande met alors le cap sur Marie-Galante. Encore une simple escale, car Darline et Wilfried jettent à nouveau l’ancre sur l’île de Saint-Martin. Mais là encore, ça ne colle pas. « Les enfants n’étaient pas heureux », raconte Darline.

Introspection

Leur mère va alors faire dans l’introspection. Elle va s’attacher à comprendre ce qui a fait que son passage en France a échoué. Et elle va comprendre.
« J’ai compris que j’attendais trop des autres. J’ai compris que c’était aussi à moi à faire des efforts. C’était pourtant évident, d’autant que j’ai toujours été dans le partage et dans la tolérance. Quand tu bouges comme j’ai bougé, tu deviens tolèrent. Tu acceptes les différences des autres. On est tous différents. Mais ce qui est vrai pour chacun, c’est qu’il y a du bon et du moins bon. Moi j’ai choisi de voir d’abord le bon dans les gens. »
Avec cette nouvelle approche d’ouverture et de compréhension, la famille Beltramon décide de retenter sa chance à Millau. Darline tient d’abord une boutique de vêtements, avant de se lancer dans la restauration. Elle et Wilfried reprennent L’Imprévu, où ils proposent une table créole et une ambiance musicale. Et cette fois, ça marche. Même un peu trop. « On travaillait tous les jours et jusque très tard le soir, explique Darline. Le problème, c’est qu’on passait à côté des enfants. On ne les voyait presque plus. Et il fallait changer ça, trouver quelque chose de plus calme, de plus posé. »
Cette fois, direction Decazeville, où La Cantine est à vendre. « Certains Millavois nous ont dit, n’allez pas là-bas ! se rappelle Wilfried. C’est le pays noir, c’est paumé, c’est pas bien. On ne les a pas écoutés et on est venus s’installer à Decazes. Et on ne le regrette pas. C’est pas plus noir qu’ailleurs, bien au contraire, c’est pas plus paumé qu’ailleurs, et franchement, ici, tu peux faire plein de choses. » Parole d’un baroudeur, d’un vrai, confirmée par son épouse, aussi baroudeuse que son mari. « C’est vrai, ici on se plaît bien. Les gens sont accueillants. C’est sympa. »

Ici ou ailleurs

Et les gens d’ici le rendent bien à Darline et Wilfried, en remplissant copieusement un restaurant dont les saveurs exotiques font souvent mouche. Un client, parmi d’autres, à la sortie d’un déjeuner : « Franchement, je ne sais pas ce que j’ai mangé. Et je m’en fiche. J’ai pris le plat du jour, un nom bizarre, mais c’était vraiment délicieux, avec plein de goûts différents. Je me suis régalé et je reviendrai ! »
Alors c’est quoi la marque de fabrique de La Cantine ? « Il n’y en a pas », s’amuse Darline qui, outre des spécialités de là-bas, propose également des plats plus traditionnels. Magrets et autres confits de canard se partagent la place avec du riz djondjon, du poisson au lait de coco, des salades piclize, du rougail saucisse, du colombo au porc ou au poulet, des grillades à la sauce chien… « Je n’ai aucune formation en gastronomie. Quand j’étais petite, en Haïti, j’allais souvent chez ma tante et c’est elle qui m’a appris à cuisiner. En fait, je n’ai pas de recettes. J’improvise. Je laisse aller mon imagination. Je fais au feeling. Je cuisine à partir de plats qui se font chez moi. Si les clients aiment, tant mieux. S’ils n’aiment pas, il faudra passer à autre chose. »
Passer à autre chose. Ce pourrait être la devise de Darline Beltramon. Aujourd’hui elle est là. Demain, il n’est pas dit qu’elle y sera encore. L’ancienne traductrice aux Nations unies (elle avoue la chose presque en s’excusant, elle qui maîtrise plutôt bien l’anglais et l’espagnol) pourrait bien refaire un jour ces valises. Tant pis pour ici. Tant mieux pour ailleurs.

La vie et le bus tap-tap

Tap-tap est le nom donné aux taxis collectifs ou au bus en Haïti, qui constituent le principal moyen de transport du pays et de sa capitale Port-au-Prince. Quand elle élargit le débat, qu’elle parle de la vie et des différences qui peuvent exister entre les gens, Darline Beltramon aime à se référer au tap-tap. « En Haïti, on dit que la vie c’est comme le tap-tap. Des gens montent, des gens descendent, ça bouge tout le temps, mais ce qui est sûr, c’est que personne n’a le même terminus. » Le rapport avec la cuisine ? Aucun.
 

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