Balint Porneczi (Rodez) : "Pas besoin d’aller loin pour capter autant d’émotions !"

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  • À 41 ans, Balint a encore beaucoup de choses à dire, à faire, à photographier et à montrer aux yeux du monde. 	JAT À 41 ans, Balint a encore beaucoup de choses à dire, à faire, à photographier et à montrer aux yeux du monde. 	JAT
    À 41 ans, Balint a encore beaucoup de choses à dire, à faire, à photographier et à montrer aux yeux du monde. JAT JAT
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Aurélien Delbouis

Aveyronnais de cœur, Balint expose dans la France entière avec des séries "au long cours". Rencontre avec un photographe sans concession.

Photographe indépendant né en Hongrie en 1978, Balint Porneczi a passé son enfance en Algérie avant de retrouver Budapest et bientôt Rodez. Autodidacte, formé par le photographe hongrois Lugosi Laszlo, il étrenne très vite ses premières pellicules dans le photojournalisme (Révolution Orange en Ukraine, Bosnie-Herzégovine, Transylvanie…). En 2006 au Kosovo, il livre son "premier véritable sujet personnel" avant de travailler pour l’Agence France-Presse, Bloomberg et divers supports internationaux. S’il prend ses distances avec les lieux de conflits et ses "images mélancoliques et très sombres", le jeune père de famille garde un œil aiguisé sur ses semblables qu’il photographie dans la rue, en noir et blanc, – "je préfère ça à la couleur tout simplement !" – avec une sensibilité qui fait mouche.

Dans la lignée des œuvres d’autres portraitistes comme Richard Avedon, Anton Corbijn ou August Sander, il présente la série "Figurák" en 2015, traduction de "belle figures, fortes gueules", en hongrois. Avec son smartphone, il tire le portrait d’anonymes comme de personnalités, du président Macron, au réalisateur Abel Ferrara en passant par de jeunes sans-abri ou ses voisins ruthénois. Largement commenté, diffusé, unanimement salué, ce travail qui fera prochainement l’objet d’un livre et "d’une exposition hors norme" a reçu la même année, le Zoom de la Presse. Un des prix prestigieux du Salon de la Photo, dont il assurera le visuel l’année suivante. Aujourd’hui impliqué dans de nombreux projets, – le dernier avec la boxeuse iranienne Sadaf Khadem sur qui pèse un mandat d’arrêt- il nous raconte son parcours, nous parle de ses rencontres, et nous livre ses envies, denses, inspirées, personnelles, sans concessions. Tout à son image.

Sadaf Khadem : un "rêve de princesse"

"J’ai rencontré Mahyar ici, à Rodez. On a gardé contact. Quelques années plus tard, il m’a rappelé en me disant : "j’aimerais t’embarquer pour un sujet en Iran". J’ai dit ok, pas de soucis !" Adepte des séries au long cours, Balint a suivi Sadaf Khadem, pendant plusieurs semaines : de son arrivée en France à son sacre à Royan. Première Iranienne à prendre part à une compétition officielle de boxe – lors d’un combat qui a eu lieu en France, à Poitiers, et qu’elle a remporté – la jeune femme de 24 ans, a dû renoncer à rentrer dans son pays. Comme son entraîneur, l’ancien champion du monde de boxe Mahyar Monshipour, elle a été avertie qu’un mandat d’arrêt avait été émis à son encontre. Le régime lui reproche sa tenue lors du match retransmis sur une chaîne de télévision iranienne. En Iran, les rings sont interdits aux femmes… "On est restés "collés" pendant deux semaines, entre Poitiers, Royan, Paris… C’était vraiment l’auberge espagnole. Elle est arrivée, elle refusait même de parler anglais. Aujourd’hui, elle vit à Royan et a disputé son sixième combat", explique le photographe qui compte retrouver Sadaf dans quelques semaines. "J’ai envie de voir ce qu’il y a derrière le symbole. La retrouver dans sa nouvelle vie, loin de sa famille qui vit toujours en Iran et du ring si possible… J’en ai assez de photographier des gants", plaisante le photographe… Mais vue "l‘actualité iranienne du moment, la tension avec les États-Unis, je pense qu’il y a des choses à voir, à dire". L’œil du photojournaliste, n’est jamais très loin : "quand tu fais des choses comme ça, comment dire, tu n’as pas besoin d’aller loin, de couvrir des conflits, pour voir autant d’émotions ! C’était un peu son rêve de princesse."

"Marchand de tapis à Cannes"

Dans la foulée de Figurak, "le génie du portrait Iphonographique" a passé une dizaine de jours sur la Croisette, pour le Festival de Cannes 2015. Une expérience exténuante : "Je n’étais pas très chaud au départ. Quand j’ai mesuré l’ampleur du travail. Produire 9 photos par jour, c’est tout sauf simple. A Rodez, c’était un autre rythme, je ne me fixais pas vraiment d’objectifs de publication. Parfois un par semaine, parfois trois dans la même journée… À Cannes, quand tu débarques en "short, tee-shirt", un collier des badges autour du cou on te regarde un peu bizarrement. J’avais l’impression d’être un marchand de tapis, de travailler à la chaîne. Mais j’en garde malgré tout un incroyable souvenir. J’ai fait là-bas des rencontres incroyables. J’ai côtoyé Christian Sinicropi par exemple, le chef étoilé du Martinez qui est aujourd’hui mon ami et avec qui j’ai retravaillé depuis."

Les réseaux sociaux

S’ils l’ont fait connaître au plus grand nombre, les réseaux sociaux, Instagram en particulier, ne font pas vraiment partie de sa campagne de communication. Loin s’en faut. "J’étais plus satisfait quand j’avais 400 abonnés, des professionnels, qui ont un œil aiguisé sur ton travail, "likent" les bonnes photos, les partagent, échangent avec toi, qu’aujourd’hui avec 180 000… Après, cela fait super plaisir de voir des commentaires sympas ou de voir David Guttenfelder, de National Geographic commenter des photos… Mais je n’ai jamais été très porté sur les réseaux sociaux. J’ai été formé à l’argentique, c’est peut-être pour ça !"

Des expositions, un livre

Des 600 clichés tirés de la série "Figurak", Balint veut en faire un livre. Un livre en série limité, numéroté, diffusé hors des circuits classiques de distribution. "J’ai participé à plein de bouquins, j’ai fait de l’illustration mais un bouquin à moi, c’est le premier en 20 ans. Et encore pas en librairies. On va faire des signatures à gauche, à droite. C’est différent. Mais pour moi, un bouquin c’est tellement sain. Pour moi, la photo c’est un bouquin. On y puise ce que l’on veut." Quant aux expositions ? "Déjà, je n’aime pas trop les expositions, et encore moins les vernissages. Trop frustrant. Tu aimerais passer du temps avec les visiteurs, mais c’est impossible ! Mais j’avoue, c’est vrai, que certaines m’ont beaucoup ému. À Rodez, pour les Photofolies, on a diffusé 500 images sur un mur, et les retours étaient "tops". Certains sont revenus plusieurs fois, d’autres avaient l’impression de connaître les modèles derrière les portraits. Je n’avais jamais eu d’aussi bons retours. C’est touchant !"

Ses mentors

En Hongrie, c’est aux côtés du photographe Lugosi Laszlo, dont il est devenu l’assistant, qu’il a appris les véritables rudiments de la photographie. "Je lui ai présenté un petit book avec quelques tirages, classés par thématiques. Il m’a dit qu’il fallait que je fasse autre chose ! Six mois après j’étais son assistant." Persévérant, le photographe qui a fait "une croix sur l’actualité" sans nier pour autant que "ça [le] gratte toujours" reste aussi un fan absolu du travail d’Alain Keler de l’agence Myop, Paolo Pellegrin, Luc Delahaye, Eric Bouvet ou Yan Morvan : "la génération dorée du photojournalisme." Du New-Yorkais installé en Afrique du Sud depuis plus de 30 ans, Roger Ballen et ses "cauchemars visuels". Mais quand il s’agit de déboulonner ses totems, ce "fort en gueules" ne mâche pas ses mots. Sa cible, Steve Mc Curry, photographe chez Magnum, dont le célèbre portrait d’une jeune afghane réfugiée au Pakistan, intitulé Afghan Girl a fait le tour du monde. "Steve Mc Curry était une star pour beaucoup. Mais il a triché. Il retouchait ses photos. Effaçait un blanc, un poteau, une main qui dépasse. C’est impardonnable pour un photojournaliste ! A sa place, j’aurais tout arrêté."

Ses projets

"Mon père a fait beaucoup de photos en Algérie. L’un de mes souhaits serait d’ailleurs d’y retourner pour photographier, les mêmes lieux, les mêmes gens, trente ans plus tard, explique Balint. Retrouver tous ces lieux, voir leurs évolutions. Une sorte de conversation entre nous, père et fils ! J’ai tous les contacts là-bas, pour retracer le chemin que l’on a fait en Algérie. J’espère pouvoir réunir le budget nécessaire, car quand je me lance dans un projet personnel, ma seule gageure c’est de ne pas perdre d’argent."

"En parallèle, j’ai un autre projet lié à la préservation du patrimoine en quelque sorte. Je suis un grand fan d’architecture industrielle, et ici en Aveyron, on ne le sait pas, mais il y pas mal de lieux très intéressants, beaucoup de "vestiges art nouveau", bien cachés ! Donc pour la rentrée, je vais essayer d’en photographier quelques-uns, en grand format, caméra soufflet, qualité premium – le négatif argentique fait la taille d’une feuille format A4-… C’est pour bientôt, je vais devoir m’y mettre !"

 

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