Le McDo de Millau comme un symbole
Le 12 août 1999, le McDo de Millau est la cible des militants de la Confédération paysanne qui dénoncent la malbouffe.
C’était un jeudi d’été. Un jeudi dans le creux de la vague. Les Français sont en vacances, les activités économiques tournent au ralenti, si ce n’est celle des champs, qui ne connaît pas de répit. La saison est chaude : voilà peut-être le seul sujet sur lequel s’attardent les journaux télévisés. La veille, le 11 août, la planète a connu sa dernière éclipse totale du soleil du XXe siècle. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Bové et sa bande n’entrent en scène que le 12. "Hors de question de se faire éclipser dans l’actualité", s’esclaffe encore, vingt ans après et le sourire coquin, Léon Maillé.
Le compagnon du Larzac, fidèle depuis la lutte du plateau des années 1970, n’a rien manqué de l’échafaudage du "scénario McDo". La première pierre a été posée sur un coin de table, en terrasse d’un café saint-affricain. Éleveurs ovins, producteurs de lait et acteurs de la filière roquefort entendent "marquer le coup" face aux Américains qui viennent de surtaxer "leur" roi des fromages, parmi d’autres produits de luxe français. À Millau, la cible de la contre-attaque est toute trouvée. Le géant américain McDo, qui sème depuis une quinzaine d’années ses restaurants aux quatre coins de l’Hexagone, s’apprête à poser un pied en Sud-Aveyron.
"Faire crever les paysans"
Mercredi 11 août, les militants de la Confédération paysanne, autour de Bové, de Fabrègues, de Maillé, de Roqueirol et les autres, trouvent dans le marché de Montredon leur ultime tribune avant l’action. La "bande" y distribue ses tracts – sur lesquels on pouvait lire "Résistance à la Macdomination" –, peaufine ses slogans et invite au rendez-vous. Du Larzac, ils partiront sur les coups de 10 h 30, jeudi 12 août.
Annoncée publiquement depuis plusieurs jours, la manifestation "symbolique" sur le parking du McDonald’s est acceptée en préfecture. Le patron de la franchise millavoise, déjà propriétaire des deux McDo ruthénois, est prévenu. Les ouvriers du chantier profitent d’un jour chômé. Tout le matériel de construction a, quant à lui, était verrouillé dans des conteneurs à proximité.
Il est 11 heures quand les premiers véhicules du convoi, qui descend la côte de La Cavalerie, gagnent le parking du fast-food. Deux policiers les y attendent. Rien, à ce moment-là, ne laisse présager de la suite. Seuls les médias locaux ont envoyé leurs photographes et leurs plumes.
Côté forces de l’ordre non plus, on ne dépêche pas les grands moyens. Léon Maillé se souvient d’appuyer : "Pour nous aussi, c’était une manif comme les autres."
Sur place, pourtant, ce jour-là, tout s’emballe rapidement. Six tracteurs, attelés de remorques, entrent sur le parking. Entre 200 et 300 militants les accompagnent, outils en main. Perché sur un bloc de béton, José Bové prend le micro : "Si nous sommes là, c’est parce que McDo est le symbole de ces multinationales qui veulent nous faire bouffer de la merde et faire crever les paysans." Le coup d’envoi est donné.
"Mac Do defora, gardarem Roquefort"
La manifestation bascule quand les paysans, venus en famille, entrent par effraction dans le restaurant. Face à leur détermination, la porte battante du fast-food ne résiste pas. Les militants s’engouffrent dans le chantier. Le mobilier est sorti. En partie détruit. Les vitres, taguées. "McDo, go home", "Mac Do defora – gardarem Roquefort".
Démuni, le patron Marc Dehani n’a que ses yeux pour se désoler, à un mois de l’inauguration de son troisième restaurant : "Je les ai vus arracher le toit, défoncer les portes à coups de barre à mine. Ils ont détruit les chambres froides à coups de masses. Ils ont coulé du béton dans des canalisations et coupé tout le câblage électrique." Et d’ajouter, la mémoire intacte : "Les policiers n’ont rien pu faire. La seule chose à faire, c’était de laisser faire."
En bordure du chantier, sur la nationale 9, route des vacances – le viaduc n’existe pas encore –, des embouteillages se forment. Les militants interpellent les automobilistes et distribuent des bouts de chantier et des tartines de roquefort. Sur le parking, Bové sera le premier à sortir du chantier. Dans une mise en scène aux petits oignons, Bové porte à bout de bras son trophée face aux photographes : un panneau largement amputé où il était inscrit "Ici, construction d’un McDonald’s". Ce panneau, comme toutes les cloisons tombées et l’ensemble du "butin", sera déversé dans la cour de la sous-préfecture. Les forces de l’ordre restent impuissantes. La manifestation, peu ou prou, s’arrête là.
La presse et la juge
Comme la plupart des actions de la Conf’, l’histoire aurait pu en rester aux colonnes de la presse locale, aux débats larzaco-millavois. C’était compter sans sur un cocktail explosif : "Des rédactions parisiennes qui n’ont rien à se mettre sous la dent en plein mois d’août, des journalistes qui fantasment à l’idée de revivre le Larzac, résume Hugues Cayrade, alors journaliste au Journal de Millau. Mais surtout, c’est la jeune juge Marty qui, en décidant d’interpeller la bande en sortant la grande cavalerie dès le mardi, a mis le feu aux poudres. Bové, qui était en vacances quand les policiers de Montpellier arrivent sur sa ferme, a saisi le truc. En choisissant de se rendre à la justice après avoir convoqué la presse, il fabrique son feuilleton. Et autour de lui, la Conf’comprend ce qu’elle a à gagner de cette médiatisation."
Dans les jours qui suivent, la presse internationale s’empare du sujet, et déboule à Millau. Dans les semaines qui suivent, ce sont les ventes de roquefort qui bondissent de 5 %.
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