McDo de Millau, 20 ans après : " l'enfer" de Marc Dehani

  • Aujourd’hui retraité, Marc Dehani était propriétaire des cinq McDonald’s aveyronnais jusqu’en 2016.
    Aujourd’hui retraité, Marc Dehani était propriétaire des cinq McDonald’s aveyronnais jusqu’en 2016. Yves Estivals
Publié le
Lola Cros

Patron de tous les McDonald’s aveyronnais jusqu’en 2016, Marc Dehani garde un souvenir vivace de Millau. Interview.

Quand vous repensez au démontage de ce chantier, qui était le vôtre, quel sentiment vous anime ?

D’abord, parler de démontage est une grave erreur. Il n’y a jamais eu démontage, il y a eu saccage. José Bové a toujours parlé de démontage, parce que cela paraît plus propre.

Alors que vous, vous retenez plutôt la violence de cette action ?

Oui, ça a été violent. Ce sont des images que je n’oublierai jamais. J’ai vu des dizaines de personnes, de la Confédération paysanne et de groupements altermondialistes, arriver avec des tracteurs, les fourches en avant, contre le bâtiment. Je les ai vues arracher le toit, défoncer les portes à coups de barres à mine, démonter la décoration avec de petits marteaux, détruire les chambres froides à coups de masses. Il faut les imaginer aussi couler du béton dans des écoulements intérieurs, couper tout le câblage électrique. Moi qui l’ai vécu de l’intérieur, je peux vous dire que parler de démontage est une foutaise.

Vous étiez averti, en amont, de cette action.

Les services de la préfecture m’ont prévenu d’une manifestation symbolique et bon enfant. On a pris des mesures de sécurité : les ouvriers n’étaient pas présents sur le chantier et on avait scellé tous les matériaux dans un conteneur.

Mais le jour même, la police n’a rien pu faire : ils étaient trop nombreux. Personne ne s’attendait à ce que ça dégénère. Il ne s’agissait pas d’une action non-maîtrisée avec des débordements : ils sont venus pour saccager, et pour donner de la visibilité à la Confédération paysanne et surtout à José Bové.

C’est le ressenti que vous gardez, vingt ans après, d’une action qui a servi José Bové ?

Évidemment. Un an après, il était l’une des personnalités préférées des Français.

Avant, il n’était identifié que par les gens du Larzac et de Millau. Localement, il était connu pour ne pas être facile, mais il n’avait pas la dimension nationale et internationale qu’il a acquise après. Il faut avoir en tête que l’action se passait en août, dans une période calme médiatiquement et économiquement. Ça a fait la Une pendant je ne sais combien de temps, tous les jours.

Où en étiez-vous du chantier à cette période ?

Nous avions prévu d’ouvrir le 21 septembre 1999. Donc le chantier était très bien avancé. Tout suivait son cours normalement. Il ne manquait que l’aménagement intérieur.

Cette action venait donc bousculer un agenda serré ?

McDonald’s était en pleine période d’extension : on ouvrait jusqu’à 100 restaurants par an à la fin des années 1990. On a pu s’arranger avec d’autres restaurants pour récupérer des matériaux pour finir en temps et en heure. Les équipes d’ouvriers ont été doublées. Pour moi, l’investissement financier était lourd : le personnel était engagé, les formations prévues, etc.

Personnellement, vous vous êtes trouvé pris dans une spirale qui vous dépassait largement.

J’ai été complètement débordé le jour de l’événement. Je me souviens m’être retrouvé face à Bové, sur le parking, entouré de cinquante militants. J’ai été agressé verbalement, jamais physiquement, mais Bové s’est montré très virulent. L’urgence, c’était de laisser faire et d’attendre que cela passe.

Mais à chaud, j’avais un sentiment d’écœurement, de dégoût, parce que c’était mon entreprise, je m’y étais investi depuis de longs mois, et l’ouverture approchait. Économique- ment, j’avais besoin d’avancer.

Le jour même, je n’avais aucune idée de la suite qui m’attendait. Mais dès le soir, je suis reparti de l’avant, plus fort encore. Cela m’a galvanisé pour tenir les délais, trouver des solutions.

Tout le staff McDo était en vacances, j’ai trouvé des réponses avec le PDG France qui me soutenait. Quelqu’un a été dépêché sur place pour m’épauler, éviter que je ne me retrouve seul à gérer la communication, car les médias du monde entier me sont tombés dessus. Et il fallait maîtriser la communication pour ne pas déraper, pour qu’il n’y ait pas de gros titres qui mettent le feu aux poudres.

C’était, en grossissant le trait, l’impérialisme américain contre le petit Gaulois, David contre Goliath. Alors que, moi, je n’étais qu’un entrepreneur local qui avait pris une franchise McDo mais qui avait surtout investi tout son argent dans ce projet. Et sans le vouloir, je me suis retrouvé confronté à un débat qui ne me regardait pas, à savoir les surtaxations américaines du roquefort.

C’était la première crise médiatique de McDo en France, depuis son développement dans les années 1980. Bien sûr, l’enseigne avait soulevé des débats sur ce nouveau type de restauration, mais là, c’était d’une autre ampleur et en plein mois d’août !

Avez-vous toujours assumé de représenter les valeurs de McDo ? Cet "impérialisme" dont vous parlez ?

Chez McDo, nous sommes tous des entrepreneurs locaux qui avons investi 20 % en fonds propres. Quand j’entends les polémiques sur le fait que McDo ne paie pas ses impôts en France, par exemple, c’est ridicule : nous payons tous nos impôts en France. Je n’ai aucun problème avec ça, j’étais content de développer cette enseigne mondiale.

Vous compreniez, tout de même, le message de la Confédération paysanne ?

Je peux comprendre le problème de la surtaxation. J’entends que la Conf défende le point de vue des éleveurs de roquefort. Mais la façon dont ils l’ont fait est inacceptable, d’autant qu’elle n’a réglé aucun problème. Cela m’a impacté pendant plus d’un an après l’ouverture. Chaque fois qu’il y avait une manifestation, les rendez-vous étaient donnés au McDo : blanc d’Espagne sur les vitres, clients enfermés, personnel invectivé, etc. J’ai vécu l’enfer.

Avez-vous connu des situations similaires dans d’autres villes ?

J’ai eu des résistances à l’ouverture de Villefranche, dans la lignée de Millau puisque je l’ai ouvert en 2000. Cela a duré deux ans : le temps du procès, de la prison, tant que la flamme était entretenue dans les médias.

L’inauguration n’a pas eu lieu, à Millau.

Non, sur conseil de Jacques Godfrain, j’y ai renoncé. La préfète m’avait prévenu que ça allait déborder, qu’ils n’auraient pas les moyens de contenir. J’ai convoqué une conférence de presse la veille pour annoncer l’annulation de l’inauguration. Le jour de l’ouverture, les premiers clients étaient Australiens, ils n’ont rien compris en voyant les médias leur sauter dessus.

Ressentez-vous encore de la colère, avec le recul ?

Le temps efface les choses. Bové a fait son chemin, j’ai fait le mien. Il a eu une visibilité qu’il n’aurait pas eue autrement. Et moi, je savais que je faisais quelque chose de bien : je développais de l’emploi direct et indirect, je n’entendais pas baisser les bras.

Vous aviez imaginé, dans la foulée, un partenariat avec la Confédération générale de roquefort. Quelle en était la teneur ?

J’avais été reçu pour développer un sandwich au roquefort. Nous avions fait des échantillons, et des panels de dégustation. Mais les clients, à l’aveugle, n’ont pas donné une note suffisante pour que le produit soit commercialisé. Cet échange nous a permis de dire, après un certain apaisement avec la Conf, "On vous a entendus, regardez ce qu’on peut faire". Ç’aurait été une fierté de développer ce produit.

Depuis dix ans, McDo semble vouloir redorer son image.

Il n’est pas question de redorer son image. McDo doit être proactif dans les évolutions de la société, en tant que leader. Il doit montrer l’exemple sur les questions environnementales, de nutrition, etc. C’est un travail de longue haleine qui est valorisé dans les campagnes de pub.

Que vous évoque le mot "malbouffe" ?

Je ne me sens pas concerné, parce qu’avec McDo, je vendais du steak haché, de la salade et du pain issus de productions françaises.

Si vous mangez un aligot saucisse tous les jours, vous n’avez pas une meilleure alimentation. Pour moi, la malbouffe, c’est de ne pas assurer la sécurité alimentaire. Ce n’est pas le cas de McDo.

« J’ai le souvenir de hordes de gens dans Millau »

Quel souvenir gardez-vous des procès ?
J’ai assisté à toutes les audiences mais je me souviens surtout de celle où “les dix” comparaissaient, en 2000. La Confédération paysanne avait réussi à réunir énormément de monde. Il y avait plus de 20 000 personnes sur le Mandarous. J’ai le souvenir de hordes de gens partout, des voitures garées dans des champs. J’arrivais de Rodez, j’étais entré dans Millau par des petites routes et dans le tribunal par la porte dérobée. Il faisait une chaleur du diable dedans, le président demandait à ouvrir les fenêtres, mais il y avait un vacarme fou devant le tribunal. Bové était rentré par la grande porte, menottes au poignet, comme s’il allait à la pendaison. La mise en scène était folle, du grand cinéma. Au moment où je vais pour témoigner, mon avocat me dit de ne regarder que le président, de ne pas flancher. Bové m’a invectivé, mais je savais ce que j’avais à dire, je ne me suis pas laissé déborder.
Vous vous êtes senti seul ?
Non, dans le palais de justice je me sentais protégé. J’attendais que justice soit rendue. Je savais ce que j’avais à dire, j’étais serein et sûr de moi.

Passé par la grande distribution, Marc Dehani bifurque, à 40 ans, dans le giron de McDonald’s. Comme franchisé, il ouvre le fast-food de Rodez en 1995, puis Onet-le-Château en 1998, Millau en 1999. Suivront Villefranche en 2000, Decazeville en 2015, et Luc-la-Primaube en 2016. Quelques mois avant l’ouverture de ce dernier, Marc Dehani a vendu ses affaires pour partir à la retraite. Entre 180 et 260 personnes travaillaient pour McDo, en Aveyron, sous sa direction. 

 

 

 

 

 

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