"On avait la légitimité du territoire"
José Bové conserve un souvenir précis des événements, vingt ans après. Un récit qu’il livre toujours avec passion. Entretien.
Quel souvenir gardez-vous de cette journée du 12 août 1999 ?
C’était une fête. Il y avait un orchestre, une fanfare, des enfants, des personnes âgées… Les choses se sont passées de manière très pacifiques et joyeuses. C’était vraiment quelque chose d’assez incroyable. Quelques jours avant le démontage, nous avions annoncé le jour et l’heure de manière très claire dans Midi Libre. On avait même décalé à cause de l’éclipse.
On s’est dit que le démontage ne devait pas être éclipsé par le soleil, ou la lune.
C’était quand même un comble. Quelques jours avant, les renseignements généraux, comme on les appelait à l’époque, m’avaient téléphoné en me disant qu’ils étaient prêts à apporter une statue de Ronald (l’emblème de McDonald’s, NDLR), une espèce de clown barbare. On nous proposait de le brûler devant le fast-food en construction. Je leur dis non. C’est notre manif, c’est nous qui décidons.
Mais il faut remettre ça dans le contexte. Cette manifestation était locale. Elle était là pour défendre le roquefort. Dans toutes les avenues de Millau, il y avait des banderoles contre l’embargo des États-Unis sur le roquefort. D’ailleurs sur les images, j’ai le T-shirt avec la brebis rouge de l’interprofession de Roquefort.
Très vite après le démontage, les dégâts sont chiffrés…
La préfète annonce plus d’un million de dégâts. Le directeur du McDo m’explique dans un face-à-face hallucinant que j’ai tout détruit. Et une dépêche AFP annonce le "saccage" du McDo. C’est là que les médias s’emballent totalement.
Les autorités décident alors d’agir…
Le 17 août, les gendarmes se rendent chez cinq personnes pour les arrêter à 6 heures du matin. En fait, ils en voulaient six, mais moi j’étais parti en vacances.
Comme tous les ans au 15 août ! Aux informations de 7 heures, j’apprends qu’un mandat d’arrêt est lancé contre moi à travers la France.
Votre coup de force, c’est de refuser d’être libéré sous caution au moment de votre arrestation…
Je me rends à la justice le 19 août et la magistrate à Millau me dit que je vais en prison. Comme j’avais déjà été poursuivi, qu’il y avait eu d’autres condamnations pour les OGM, on m’a dit que j’étais un repris de justice et que je ne pourrais pas sortir comme ça. Il faut alors quinze jours pour que le tribunal de Montpellier statue.
Après ce délai, je suis amené au tribunal de Montpellier, et on me dit que je ne peux pas sortir du tribunal sans payer une caution de 105 000 francs. Je réponds que le syndicalisme, l’action militante, ne s’achètent pas.
Cela a provoqué une situation un peu cocasse à la prison de Villeneuve-lès-Maguelone, où vous étiez détenu…
Tous les matins, j’avais le directeur qui me suppliait de payer la caution.
Cela créait une situation invraisemblable avec les autres détenus.
J’étais le seul à décider du jour où je sors !
Jusqu’à ce qu’un syndicat de petits éleveurs du Texas, aux États-Unis, envoie un chèque pour payer la caution. À l’époque, ils disent : qu’ils auraient dû le faire depuis longtemps, qu’ils étaient victimes du bœuf aux hormones et du reste…
Là, rester en prison n’aurait plus eu de sens.
Que se passe-t-il ensuite ?
Je suis libéré le 7 ou 8 septembre, et tout ça se termine avec une petite fête à Montredon. En sortant de prison, je dis : "La prochaine étape, maintenant, c’est novembre à Seattle !" (il participe fin 1999 aux manifestations contre le sommet de l’OMC, NDLR).
C’est là que le combat contre la malbouffe, les OGM, l’OMC et plus globalement en faveur de l’altermondialisme, démarre vraiment à un niveau international. La défense du roquefort résonne, par l’acte médiatique du "démontage".
Notre légitimité pour dénoncer tout ça sur le plan mondial, on la tenait du territoire.
Edgar Maurin, récemment de passage sur le Larzac, avait dit après cette manifestation : "Le XXIe siècle commence à Seattle"…
Ce qui était juste ! C’est une nouvelle problématique de société qui voyait le jour.
Aujourd’hui, avez-vous le sentiment qu’il y a eu un avant et un après dans ce combat contre la malbouffe ?
Si on se replace dans le contexte d’il y a vingt ans, on parle bien d’alimentation standardisée et d’agriculture industrielle à l’époque, mais ce n’est pas dans l’opinion publique en général. Ce n’est pas moi qui ai inventé le concept de malbouffe.
Cela avait déjà été dit par un auteur à l’époque. Aujourd’hui, quel que soit le milieu social des gens, on reconnaît ce phénomène.
Bien manger, c’est quelque chose de très important. Je suis assez fier d’avoir pu à la fois dénoncer la malbouffe et la bouffe industrielle, tout en défendant la première appellation d’origine, le roquefort. C’est quand même très intéressant. Pourquoi le roquefort se retrouve-t-il pris en otage par le bœuf aux hormones ? Il fallait quand même être cinglé, aux États-Unis, pour inventer un truc pareil… Ils l’ont fait, tant pis pour eux.
Né à Talence, en Gironde, en 1953. Fils de chercheurs en agronomie. Éleveur à Montredon-du-Larzac dès 1976. Membre fondateur de la Confédération paysanne. Élu député européen (Groupe des Verts/Alliance libre européenne) le 14 juillet 2009. Mandat exercé jusqu’au 1er juillet 2019.
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