Pérail : le seul brebis à pâte molle a la dent dure

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  • Pierre Gaillac, Jean-François Dombre et Sébastien Leclercqà la défense.
    Pierre Gaillac, Jean-François Dombre et Sébastien Leclercqà la défense. Repro CPA
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C.C. (ML Millau)

Puisqu’elle n’a pas obtenu l’Appellation d’origine contrôlée, l’association de défense et de promotion du fromage pérail va réclamer l’Indication géographique protégée. Entre changement de statuts et promesses de l’Institut national de l’origine et de la qualité, la lutte continue.

Jean-François Dombre a beau essayer de temporiser, le pérail en a gros sur la patate. Le président de l’association de défense et de promotion du fromage n’a pas eu gain de cause sur la reconnaissance de son bébé fort en caséine. Alors, puisque le pérail n’a pas eu l’Appellation d’origine contrôlée (AOP), eh bien ce sera – peut-être ? – l’Indication géographique protégée (IGP).

Dans ce combat vers une nouvelle labellisation, il est entouré de Pierre Gaillac, berger paysan de La Loubière, de Mathieu Castanier, éleveur et fromager à Verrières et de Sébastien Leclercq, responsable des fromageries Roquefort Papillon et du Lévézou. Les quatre hommes ont fait face aux médias pour expliquer la marche vers le Graal. Pour que "ce savoir-faire local soit maintenu localement", argumente justement Pierre Gaillac.

Ne voulant pas polémiquer sur la décision de l’Institut national de l’origine et de la qualité (Inao), le président préfère rappeler un unique but : "Protéger notre fromage. La seule possibilité qui nous est offerte, c’est l’Indication géographique protégée qui nous apportera les mêmes avantages que l’AOP d’un point de vue juridique, en France ou en Europe."

Désormais envieuse de cette bénédiction en IGP, qui ne peut être accordée là aussi que par l’Inao, l’association construit un dossier. "Certaines phases du procédé seront protégées : le territoire, la production en amont, l’affinage, l’espèce de brebis, mais c’est à nous de fixer ce que l’on mettra dans le cahier des charges", précise Sébastien Leclercq. "On est allé voir Marie Guitard, directrice de l’Inao. La première question qu’on lui a posée, c’est : “OK, on part sur l’IGP, mais va-t-on encore mettre 25 ans pour nous dire oui ou non ?”. On lui a demandé un engagement fort sur le timing et elle s’est engagée à ce que l’on ait une IGP d’ici 3 ans." Depuis la rencontre, une lettre d’intention a été adressée à l’institut national pour que le dossier soit instruit. Il n’y a donc plus qu’à attendre (lire ci-contre).

Mathieu Castanier, de son côté, n’a pas beaucoup parlé. Cependant, une seule fois peut compter pour beaucoup : "Il faut que nous, les fermiers, nous soyons acteurs et non spectateurs. Il faut avoir son mot à dire dans le cahier des charges, qu’on soit présents. Même si cette IGP n’apportera pas grand-chose aux fermiers face au faible volume que l’on produit, cela reste important pour l’avenir, pour notre territoire et pour valoriser notre savoir-faire. Si, demain, on fait du pérail dans le Poitou et qu’on nous pique des clients, on risque quand même de faire la gueule." Et il ne croit pas si bien dire le fermier de La Blaquière, puisque, depuis l’avis défavorable du comité national des AOP, le pérail n’est plus protégé. Libre à quiconque d’en fabriquer où il veut, comme il veut.

Jean-François Dombre confirme : "Depuis le mois de juin, les entreprises savent que l’on n’est plus protégé. Ça va de la Provence à la Bretagne, en passant par Paris intra-muros. Là-bas, un gars utilise le mot pérail. Il faut que tout le monde sache qu’on commence un nouveau deal qui nous protège et que, même pendant la démarche, nous serons protégés. Et que ceux qui s’amuseraient à faire du pérail avec du lait de vache ou de chèvre, hors région, sachent que nous porterons plainte."

Oui l’association défend son fromage. Et elle le prouve.

25 ans d’attente, 3 autres à patienter

La demande d’AOP avait été lancée il y a presque un quart de siècle. Parce que, en 1995, « on ne voulait pas entendre parler de pérail au lait de vache ou de chèvre ; de pérail qui se ferait en Bretagne ou je ne sais où, en Europe ». Aujourd’hui, c’est pareil, mais l’ampleur est tout autre. « Le pérail, c’est plus de mille tonnes. Ce sont près de 400 personnes qui en vivent. Et ces chiffres, dans notre région, ce n’est pas rien. »
Alors, quand le non est tombé, comme le ciel sur la tête, ils ont été sonnés les producteurs de pérail. « Si on vous donne une AOP en pasteurisé, pourquoi la refuserait-on au camembert qui voudrait la remettre en place ? », se sont entendus dire les intéressés, au mauvais endroit, au mauvais moment. « L’Inao n’accordera plus d’AOP à un fromage qui ne sera pas que cru », lancent-ils encore. Et même si le vote a eu lieu à bulletin secret et que le comité social n’a pas à motiver sa décision, le pourquoi n’est pas si nébuleux.
Quoi qu’il en soit, ce verdict, ce couperet, l’association de défense et de promotion du fromage l’a accepté. Sans plier. « On a pris une balle, mais on est encore plus motivé. On savait qu’on allait la prendre puisque l’Inao nous avait recommandé, quelques mois avant le non, de retirer le dossier. Et on a dit non… », avoue Sébastien Leclercq. Désormais, tous focalisent sur cette IGP. Prochainement, une réunion de concertation avec l’Inao d’Aurillac et la Région permettra de tracer la feuille de route. Début 2020, les statuts de l’association seront changés en organisme de gestion et de défense du pérail. Lequel réunira les producteurs de pérail fermier, les producteurs de lait et les fabricants.
Un conseil d’administration sera formé et la présidence sera tournante. L’assemblée constituante aura lieu le 24 janvier. Sûrement sans Jean-François Dombre à sa tête. Oui, une page se tourne réellement. Mathieu Castanier, qui n’a pas 40 ans, reste un espoir. L’IGP aussi. Alors puisqu’ils font vivre, voilà qui pourrait faire revivre les acteurs du pérail.
 

Le lait pasteurisé n’est pas passé

En juin dernier, le comité national des AOP a voté massivement non dans le dossier du pérail. 
79 % contre. « À ce niveau, le dossier est mort. Tout s’écroule. Si on cherche à savoir pourquoi, on va entrer dans la polémique et ça ne protégera pas le pérail », assure Jean-François Dombre. Pour autant, Pierre Gaillac a voulu éclaircir un point : « En 25 ans, la société a évolué. Aujourd’hui, le lait pasteurisé passe mal. Son image est dépréciée. On a eu toujours un différend avec l’Inao à ce sujet. On ne peut pas donner un fromage au lait cru à un enfant en dessous de 7 ans. Et ça nous ferme énormément de parts de marché. »
 

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