La mémoire collective influence nos souvenirs individuels

  • Les plus âgés des volontaires, qui avaient été les plus exposés aux récits de la période étudiée (1980-2010), étaient les plus influencés par la mémoire collective, explique à l'AFP M. Pierre Gagnepain (Inserm, Caen).
    Les plus âgés des volontaires, qui avaient été les plus exposés aux récits de la période étudiée (1980-2010), étaient les plus influencés par la mémoire collective, explique à l'AFP M. Pierre Gagnepain (Inserm, Caen). yacobchuk / IStock.com
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Relaxnews

(AFP) - Les sociologues soulignent depuis longtemps l'influence de la mémoire collective sur nos souvenirs personnels, mais pour la première fois, des chercheurs en neurosciences ont mis ce lien en évidence en utilisant des techniques d'imagerie cérébrale.

Un enseignement peut déjà être tiré de cette étude: aucune recherche sur le fonctionnement de nos souvenirs ne peut se faire sans prendre en compte le contexte social et culturel dans lequel nous évoluons en tant qu'individus, explique l'Inserm.

La mémoire collective est constituée de symboles, de récits, de narrations et d'images qui participent à la construction identitaire d'une population.

Transmise entre générations, elle peut évoluer et s'enrichir, relève Pierre Gagnepain (Inserm, Caen), co-auteur de ce travail paru lundi dans la revue Nature Human Behaviour. Cela a été le cas pour la Shoah ou encore le récit de la Résistance et de la collaboration, grâce aux travaux des historiens et à l'actualité qui s'est emparée de grands procès (Klaus Barbie, Maurice Papon...).

Pour établir le lien entre les représentations collectives et la mémoire individuelle, les chercheurs ont d'abord procédé à une analyse de la couverture médiatique de la Seconde Guerre mondiale d'après les archives de l'Institut national de l'audiovisuel (INA). But de cette première étape: identifier les représentations collectives communes associées à cette période. 

Ils se sont intéressés au contenu de 3.766 reportages et documentaires sur cette guerre, diffusés à la télévision pendant 30 ans, entre 1980 et 2010, et retranscrits par écrit.

- L'âge compte -

Les chercheurs ont analysé ce matériau à l'aide d'un programme informatique, basé sur un modèle mathématique qu'ils ont conçu. Ils ont ainsi identifié des groupes de mots utilisés régulièrement pour parler de grands thèmes associés à notre mémoire collective de la Seconde Guerre mondiale, comme par exemple le débarquement allié en Normandie.

Puis les scientifiques ont recruté 24 volontaires, âgés de 22 à 39 ans et ayant grandi pendant les 30 années analysées, pour visiter le Mémorial de Caen (Normandie) et y observer des photos avec légende.

L'analyse des mots de ces légendes (train, sabotage, maquis, bombardements, etc.) a servi à déterminer si les photos appartenaient à la même thématique de mémoire collective.

Les volontaires ont ensuite passé des examens d'imagerie (IRM fonctionnelle) pendant qu'ils se remémoraient les images vues la veille au Mémorial. Les chercheurs se sont concentrés sur l'activité du cortex préfrontal médial, une région clé pour les schémas de mémoire.

Résultat: lorsque des photos étaient associées à la même thématique de mémoire collective, elles avaient tendance à déclencher une activité cérébrale similaire chez les volontaires. Signe que la mémoire collective façonne la mémoire individuelle.

"Gagnepain et ses collègues montrent que l'organisation des mémoires dans le cerveau reflète la structure du discours culturel partagé", commentent ainsi deux spécialistes américains de psychologie, Matthew Siegelman et  Christopher Baldassano, dans la revue.

"Un résultat intrigant de l'étude est que la force de cet alignement entre les représentations neurales et le schéma collectif augmente avec l'âge, les effets les plus faibles étant observés chez les participants plus jeunes", remarquent-ils. 

Les plus âgés des volontaires, qui avaient été les plus exposés aux récits de la période étudiée (1980-2010), étaient les plus influencés par la mémoire collective, explique à l'AFP M. Gagnepain. 

Ce dernier a réalisé l'étude avec Francis Eustache (Inserm) et des collègues du programme Matrice de recherche sur la mémoire piloté par l'historien CNRS Denis Peschanski.

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