Conques-en-Rouergue. Christel Laché, licière : une artiste hors du temps

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  • Concevoir une tapisserie, c’est un lent processus, qui demande une grande concentration.Photos H.L. Concevoir une tapisserie, c’est un lent processus, qui demande une grande concentration.Photos H.L.
    Concevoir une tapisserie, c’est un lent processus, qui demande une grande concentration.Photos H.L. Reproduction Centre Presse - HELENE LECARME
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    Concevoir une tapisserie, c’est un lent processus, qui demande une grande concentration.Photos H.L. Reproduction Centre Presse - HELENE LECARME
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Centre Presse

Installée près de Conques, dans le petit hameau de La Vaysse, depuis 1980, Christel Laché nous fait partager ce dimanche sa passion du métier (rare) de licière.

Christel Laché est licière… Un métier si rare aujourd’hui que lorsqu’on l’évoque, on suscite le regard interrogateur de l’interlocuteur : une licière est l’artiste qui réalise des tapisseries. Deux cents liciers en activité en France actuellement : autant dire que le métier est une survivance.

Christel est arrivée en Aveyron en 1980 : son mari, Jean-Pierre, sculpteur sur bois, cherchait un lieu à proximité de Conques pour installer son atelier. Dominant le vallon de Marcillac, le petit hameau de La Vaysse, à 7 km de l’un des plus beaux villages de France, loin du trafic routier, abrite donc depuis près de 40 ans la famille : quatre enfants sont nés et ont grandi dans la vieille bâtisse sur laquelle le couple a jeté son dévolu.

Une belle histoire

Sa vocation, Christel l’explique simplement : " Mon père avait un jardin ouvrier, à Orléans, que j’aimais beaucoup. J’ai le souvenir des sensations que faisaient naître en moi les plantes qui m’entouraient. Et puis enfant, j’allais en vacances chez une tante couturière : j’aimais les fils, je regardais ses mains, j’étais fascinée. "

Le hasard a fait le reste : les jeunes d’un foyer de travailleurs pour lequel elle a été cantinière lui ont fabriqué et offert pour son départ son premier métier à tisser. Par la suite, comme une structure d’animation cherchait quelqu’un sachant tisser, elle ose ! Elle dit qu’elle sait, et assure le stage, en apprenant en même temps que les stagiaires ! Elle n’a plus jamais arrêté : comme le métier de tisserand ne lui permettait pas de faire exactement ce qu’elle cherchait à faire, quand elle a découvert par hasard la tapisserie, elle a su qu’elle avait enfin trouvé sa voie ! Pour l’anecdote, c’est encore le hasard qui offre sa chance à Christel lorsqu’elle postule pour une formation à l’École nationale des arts décoratifs d’Aubusson, en 1989. Il faut une lettre de motivation et un dossier artistique : Christel ne fournit que la lettre, est prise, et découvre à la rentrée scolaire qu’on l’a choisie sur le dossier artistique de quelqu’un d’autre ! Cette année-là, l’école reçoit donc deux élèves pour une place. C’est un choix dont l’école ne pourra que se féliciter, tant le travail de Christel s’avère remarquable.

Les étapes d’un travail en résonance avec l’actualité

Concevoir une tapisserie, c’est un lent processus, qui débute par un travail d’observation. " Ce que je vois du monde végétal me donne envie de comprendre : comment, pourquoi, cette forme se transforme-t-elle ? À force d’observer, j’accumule de la documentation, il y a une sorte de chemin que je vais utiliser pour traduire l’idée… Un coquelicot, c’est fragile, mobile, difficile à traiter. À peine né, il va vers sa disparition : mais en même temps, c’est hyperjoyeux, intensément vivant ! J’aimerais beaucoup appréhender ma propre disparition à la manière d’un coquelicot. "

Au contact vivifiant des plantes, Christel s’interroge : " Qui fait quoi ? Quelle est la frontière entre ce que nous faisons pour la nature, ce que la nature fait pour nous ? Pendant des années, je ne savais pas pourquoi je travaillais : maintenant je sais. Mes images végétales, qui évoquent la fragilité et interrogent notre rapport au monde, sont d’actualité. Rétrospectivement, je prends conscience de leur importance : elles représentent le vivant à l’état pur. "

Dans sa loupe binoculaire, un bouton de fleur dans la capsule qui le protège : image utérine, très organique, très humaine. Une image très fidèle qui révèle ce que l’œil devine, et en même temps, une image qui nous fait basculer dans une autre dimension. Une image qui fait écho à notre propre condition : qu’est-ce que cela veut dire de notre position d’être humain dans le monde qui nous entoure ?

C’est ainsi que se dessine le chemin qui mène de l’observation à la réalisation. Christel fait des dessins à partir de ses observations, peint des aquarelles documentaires, construit peu à peu l’image qui va se dégager de la série pour devenir une tapisserie. À partir du projet peint, elle fait le carton, c’est-à-dire le plan qui permet de passer de la peinture au textile, en traduisant avec des fils et des nuances de couleurs les dégradés de la peinture, puis passe sa commande de couleurs au teinturier, à Aubusson, et va sur place afin d’affiner les recherches colorimétriques.

 

Un métier de basse-lice

Le carton et l’aquarelle servent de guides à la réalisation de la tapisserie de lice, exécutée avec des fils de trame en pure laine, colorés, passés à la navette entre des fils de chaîne en coton blanc tendus sur le métier.

Christel utilise un métier de basse-lice, c’est-à-dire portant la tapisserie horizontalement.

Pour les dégradés, comme elle tisse à quatre brins, elle joue sur le nombre de brins, et passe ainsi naturellement d’une couleur à une autre : trois brins de l’une et une de l’autre, puis deux et deux, un et trois, et enfin les quatre de la nouvelle couleur… 1 200 heures ont été nécessaires à la réalisation du coquelicot de 2 mètres sur 1,20 m, 900 à celle de l’envol des coquelicots…

Un travail de longue haleine : plusieurs mois de tissage pour une œuvre durable sur plusieurs siècles. Christel a ainsi réalisé 35 tapisseries, qu’elle signe de son nom comme licière, et de ses initiales d’artiste pour la création de l’image. Après la dépose, les finitions du dos : rentrages, ourlet, bolduc (cachet comprenant titre, année, n° d’exemplaire), couture de la bande velcro et mise en place de la tringle pour l’accrochage. On comprend que l’achat d’une tapisserie ne soit pas anodin !

Une philosophie de vie : "Mon travail, c’est mon yoga !"

" Mon travail, c’est mon équilibre ! Il me faut être présente à ce que je fais, et ça me fait du bien, cette attention intense, cette disponibilité tout entière que requiert ce que je vois, dessine, peins, tisse… Pas de place pour des pensées : ma concentration me nourrit ! " Christel, qui a animé durant 17 ans des ateliers pédagogiques d’arts plastiques textiles à Marcillac, dans le cadre de l’association culturelle Lusine, consacre maintenant tout son temps à ses projets personnels, observation, dessin, peinture et tapisserie. " Je n’aurai pas assez d’une vie pour explorer tous les possibles : j’ai encore tant de découvertes à faire ! "

Contact : Christel Laché, La Vaysse, 12 320 Conques-en-Rouergue ; christelach@orange.fr ; 05 65 72 85 60.
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