Une certaine culture du bonheur à Decazeville

Decazeville n’a pas forcément une identité agricole. Minière et sidérurgique pour le passé, industrielle encore aujourd’hui, mais pas agricole. Et pourtant, c’est bien à Decazeville, dans le hameau de Bouquiès, que l’exploitation Autour des Noyers vient de voir le jour. Oui, bon, d’accord, la nouvelle exploitation maraîchère se situe à un petit jet de pierre de Livinhac-le-Haut, terre maraîchère s’il en est, et en bordure de la rivière Lot. Mais administrativement, elle n’en demeure pas moins à Decazeville.

Quoi qu’il en soit, c’est là que Frankie Webb et Aymeric Blanpain ont choisi de se lancer dans la culture des légumes bio. Le couple n’a pas encore le droit d’utiliser le label bio, se retrouvant en période de conversion pour deux ans au regard de l’utilisation de leurs terres auparavant. En attendant, ces terres verdoyantes qui s’étendent sur deux hectares réalisent dès aujourd’hui le rêve commun de deux personnes aux parcours atypiques.

Des îles Caïman à Labessenoîts

Frankie Webb est Anglaise, originaire de la petite ville de Boston, située sur la côte est de l’Angleterre. Voilà plusieurs années, Frankie a d’abord suivi ses parents, tous deux professeurs fatigués d’une vie trépidante, quand ils ont décidé d’acheter une maison à Labessenoîts, sur les hauteurs de Firmi et Decazeville. Cet achat immobilier faisait suite à un périple maritime de trois ans à bord d’un voilier.

Si la jeune femme dit avoir très vite apprécié la région decazevilloise et l’Aveyron plus largement, elle prit toutefois la direction des îles Caïman, où elle exerça quelques années en tant que prof de planche à voile.

"Je suis restée six ans là-bas et je suis revenue avec deux enfants", glisse-t-elle aujourd’hui avec un large sourire et dans un français parfait. Au terme de ces six ans sous le soleil des Caraïbes britanniques, Frankie a rejoint ses parents à Labessenoîts et a commencé à s’installer en donnant des cours de gym et de yoga dans diverses associations du secteur.

De l’Inde à Livinhac

Aymeric Blanpain, lui, est un gars du nord. Du vrai nord, de Lille pour être précis. Épris de voyage, le jeune homme a beaucoup bourlingué, de l’Afrique à l’Inde. C’est en Inde qu’Aymeric a rencontré un Flagnacois en vadrouille comme lui. Un Flagnacois qui, au cours de leurs échanges, lui a indiqué un bon plan pour bosser dans l’agriculture bio, sachant qu’Aymeric a "toujours été bio dans la tête". Le bon plan l’amène jusque chez Sylvie et Laurent Rémès, maraîchers bio dans les plaines livinhacoises. Il y restera 14 ans, d’abord comme salarié, puis associé au sein du Gaec Biotenga. Une association qu’il a donc quittée le 1er janvier pour créer, avec Frankie, Autour des Noyers.

"The good life"

Frankie et Aymeric se sont rencontrés lors d’un cours de yoga que la jeune prof anglaise donnait à Livinhac. "On s’est rencontré et puis voilà", s’amuse Frankie en surveillant du coin de l’œil un gâteau en cours de cuisson dans le four de sa cuisine. Et sa cuisine, elle y tient. Tout comme elle tient à sa maison, une ferme joliment aménagée et nichée entre des collines boisées et la rivière toute proche. Elle tient aussi à son exploitation maraîchère et à la vie qui s’y rattache désormais, partageant exactement la même vision que son compagnon.

"Aymeric et moi avions besoin de stabilité. On a donc cherché une maison et une terre pour vivre et travailler. On a trouvé celle-là et elle est parfaite, avec ses noyers ici ou là, d’où le nom de notre ferme. Notre envie est de travailler chez nous. Les cultures sont juste à côté, au bout du champ. Moi, de ma cuisine, je surveille les gens qui viennent acheter des légumes dans la grange attenante et quand j’en vois, je sors et je les sers. C’est aussi simple que ça. J’aide aussi Aymeric dans les cultures, tout en continuant à donner des cours de gym et de yoga. On mange ce qu’on produit et on est heureux comme ça. En Angleterre, on dit : the good life."

Le couple ne vit pas seul. Cinq enfants les accompagnent, âgés de 16 ans à 18 mois. Frankie est la maman de deux d’entre eux. Aymeric est le papa de deux autres. Frankie et Aymeric sont les parents du cinquième et dernier-né de la rencontre entre un homme et une femme qui s’attachent à cultiver le bonheur autant que les légumes de saison.

Le ciel est bleu

Les prémisses de l’activité professionnelle qui les réunit sont bonnes. Déjà présents sur les marchés de Decazeville et Rodez, en plus des ventes à la ferme (du mardi au vendredi de 16 heures à 19 heures et le samedi matin), les premiers retours sont satisfaisants.

"À faire du bio, c’est sûr, c’est maintenant, souligne Aymeric. Et c’est vrai qu’on démarre bien. On se donne un an pour atteindre notre vitesse de croisière, sachant que, pour l’instant, on ne cultive que 3 000 m2 sur les deux hectares de la ferme, que l’on exploite en location fermage. On est donc loin d’utiliser tout le potentiel à notre disposition."

En attendant, Frankie et Aymeric profitent pleinement de l’instant présent et de leur condition de "gens heureux", telle qu’on la devine à partager un moment avec eux. Si on venait à en douter, Frankie, qui a pourtant pas mal "navigué", assène son ressenti de manière péremptoire : "J’aime vraiment beaucoup la région. C’est magnifique. Et le ciel est ici plus bleu que je ne l’ai jamais vu ailleurs."