À l’hôpital de Rodez, "On n'est pas à la fin de l'histoire"
En pleine lutte contre le Covid-19, l’hôpital de Rodez nous a ouvert ses portes en début de semaine. L’occasion de revenir sur plusieurs semaines harassantes et faire un point sur l’évolution de l’épidémie dans le département.
Mercredi 4 mars. Alors qu’on regarde de loin la crise du coronavirus chez nos voisins italiens, qu’on s’embrasse et qu’on rigole encore dans les rues de Rodez, l’Aveyron plonge à son tour dans ce qu’on appellera plus tard une "guerre". La veille, un couple de sexagénaires aveyronnais est admis au centre hospitalier Jacques-Puel.
Depuis leur retour d’un voyage organisé en Égypte, ils présentent quasiment tous les symptômes de ce fameux nouveau coronavirus (fièvre, toux, difficultés respiratoires). Moins de 24 heures plus tard et un aller-retour au laboratoire du CHU de Toulouse, le verdict tombe : le couple est porteur du virus SARS-CoV-2. Les sexagénaires sont les premiers cas du département, les "patients zéro". Ils s’en sortiront avec une grande fatigue quelques jours plus tard.
Mais un peu partout, la vague arrive. La rumeur de cas repérés aux quatre coins du département enfle. On ne connaît pas encore l’ampleur de la crise. Mais les hôpitaux de France sont en alerte, comme celui de Rodez, depuis fin janvier et l’apparition de l’épicentre à Wuhan, en Chine. Au centre hospitalier Jacques-Puel, Bruno Guérin, chef du service des maladies infectieuses, sait d’ores et déjà qu’aucun territoire ne sera épargné. Il n’est désormais plus qu’une question d’une île entourée de terre pour l’Aveyron. Le département sera touché, comme les autres.
Alors, en quelques jours, il faut tout réorganiser, tout revoir. La maladie est des plus contagieuses, l’hôpital est donc divisé en deux zones : l’une dite "propre", l’autre réservée à ceux qu’on appelle les patients Covid. Le virus, lui, gagne du terrain plus vite qu’on ne l’imaginait. Le branle-bas de combat est décrété pour tout le personnel, le plan blanc est déclenché. Cinq semaines plus tard, un ballet incessant d’ambulances vient troubler le silence pesant sur un Bourran confiné. La guerre se joue ici.
"Humainement, c’est dur"
Lundi 5 avril. Dans la zone réservée aux patients Covid-19, les lits sont tous occupés, ou presque. Le va-et-vient de personnes présentant des symptômes est incessant aux urgences, ou plutôt dans ce qu’on appelle désormais la "zone de tri". Elle a été installée sur un coin de bitume qui servait jusqu’alors de parking pour les ambulanciers. Ce lundi, comme ces derniers jours, une dizaine de personnes s’y présentent. Ils ont peur d’avoir contracté le virus, sont envoyés par un médecin généraliste ou bien transportés en ambulances.
Dans ce décor singulier, l’urgence est la prise en charge et l’évaluation de la gravité de chaque cas. Lundi, c’était au tour d’un néphrologue, d’une manipulatrice radio et d’une aide-soignante de s’y coller, transformés en une sorte de "spationautes" surprotégés. "Aujourd’hui, il n’y a plus de spécialité, explique Élise Carrez, présidente de la commission médicale de l’établissement. Tout le monde met la main à la pâte et l’adaptabilité de tous a été exceptionnelle. Car il n’y a pas que les patients Covid à gérer…".
Pour les patients, c’est la première attente. Sans facteurs de gravité, et notamment au niveau de l’oxygène dans le sang, ils sont invités à regagner leur domicile. Rassurés ou pas. Car aujourd’hui, les tests sont réservés aux cas les plus graves et les personnes prioritaires (résidents d’Ehpad, personnel soignant, personnes immunodéprimées…). A Rodez, ils se déroulent sous une tente, juste à côté des urgences. Pour ceux qui passent par cette case, l’attente durera un peu plus… Direction l’unité dite "d’attente", à l’étage. Jusqu’au lendemain, 15 heures, heure à laquelle les résultats arrivent. Covid ou pas Covid, la sentence est parfois difficile à entendre. "Humainement, c’est très dur d’annoncer ce résultat. On ressent vraiment l’angoisse des patients et il est difficile de les rassurer, surtout qu’ils sont éloignés de leur famille", confie Élise Carrez, en charge de cette unité d’attente.
Un peu plus loin, Bruno Guérin et ses collègues infectiologues, à la tête de l’unité dite de haute densité virale, ont également ressenti cette angoisse chez les patients positifs. Lui l’explique par l’hypermédiatisation de la maladie mais également par les difficultés respiratoires, des plus anxiogènes. "Puis, tout le monde le sait, cette maladie peut évoluer très vite dans un sens comme dans l’autre, alors on reste toujours très prudent", explique-t-il encore. Avant de "repartir au charbon", comme on aime dire désormais à l’hôpital. Et de rappeler tous en chœur, en guise d’avertissement : "On est encore loin de la fin de l’histoire !".
"On entre peut-être dans une phase de plateau"
Mercredi 8 avril 14 personnes avaient perdu la vie à l’hôpital depuis le début de l’épidémie. Plus de 90 % avaient plus de 70 ans, le plus jeune avait 50 ans. La vague est-elle là ? Le pic épidémique est-il passé ? On ne sait pas vraiment. "On entre peut-être dans une phase dite de plateau", observe néanmoins Bruno Guérin. Autrement dit, les admissions en réanimations tendent à stagner. Les hospitalisations également. Dans le département, elles ont même baissé ces dernières heures. Ces derniers temps, cinq, voire six patients sont sortis "guéris" toutes les 24 heures. Mais, généralement, autant entrent dans le même temps. Alors, la prudence est de mise. En attendant des jours meilleurs, l’hôpital de Rodez le répète toujours : "On tient bon, mais ce n’est pas fini".
Comme partout d’ailleurs, l’Aveyron a connu des moments délicats à gérer. Il y a eu plusieurs clusters, celui de Bozouls notamment. Puis, il y a eu quelques "accélérateurs de l’épidémie", comme une réunion religieuse comptant une cinquantaine de personnes ou encore une chorale. Sans oublier les nombreux Ehpad touchés, dont certains payent encore un lourd tribut. Mais jamais, il n’a été question de saturation. "Le confinement est arrivé au bon moment", avoue d’ailleurs l’infectiologue, Simon Ray. "On galope, mais on conserve la tête hors de l’eau", poursuit-il, autour de toutes les blouses blanches de l’hôpital. Plus que jamais soudées pour repartir au front.
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