Millau. Agathe (Mexique) : "Pour le moment, on s’en sort plutôt pas mal"
Au Mexique depuis deux ans, Agathe Bruniquel a posé ses valises à Guadalajara. Elle nous raconte l’ambiance dans sa ville de 5 millions d’habitants invités à rester chez eux depuis plus d’un mois.
De France, on a en tête l’image de son président, Andres Manuel Lopez Obrador, qui pour se prémunir du coronavirus brandit des "amulettes protectrices" devant les caméras. Au Mexique, la lutte contre le Covid se résume-t-elle à ça ?
Heureusement non. Certains états [Le Mexique est une république fédérale constituée de 32 entités fédératives dont 31 ont le statut d’État. NDLR] ont pris l’initiative de confiner la population bien avant cet épisode.
Dans l’État de Jalisco où je vis, comme dans plusieurs autres États mexicains, le gouverneur a instauré des mesures de confinement obligatoires relativement tôt : dès la mi-mars, alors qu’on ne comptait qu’une trentaine de contaminations sur l’ensemble du territoire et aucune à Jalisco.
En quoi consistent ces mesures de confinement ?
Seules peuvent sortir de chez elles les personnes qui doivent acheter des vivres, des médicaments, pour se rendre dans des centres de santé. Tout est basé sur la notion de déplacement "nécessaire".
Mais cette notion est très mouvante (rires).
Beaucoup considèrent que manger chez les parents ou les grands-parents est "nécessaire" et qu’il n’y a aucun risque.
Ces mesures, rendues obligatoires depuis lundi dans 2 des 32 États mexicains, sont plutôt bien accueillies ?
Oui et non. Elles sont encore prises à la légère même si finalement, il y a assez peu de déplacements. Il y a une sorte de déni des Mexicains sachant que pour l’heure, les contaminations sont très localisées autour de Mexico et Monterrey. Dans beaucoup de zones, il n’y a toujours pas de cas.
Ceci peut-il expliquer le laxisme du gouvernement fédéral qui n’a pris aucune mesure de confinement strict ?
Disons que pour l’instant, le nombre de cas est contenu : quelque 8 000 cas pour un pays deux fois plus peuplé que la France. Il y a sans doute aussi de la part du président la volonté de ne pas nuire à l’économie du pays basée majoritairement sur le travail informel. Trente millions de Mexicains vivent au jour le jour. Les "petits vieux" qui emballent les courses dans les supermarchés, vendent des boissons dans la rue, des fruits avec leurs chariots, les fameux "puestos". Tous ces gens n’ont pas d’autre option que de continuer à travailler pour vivre. Leur imposer un confinement serait difficile à mettre en place.
Le vice-ministre de la Santé, Hugo Lopez-Gatelle, annonce le pic de l’épidémie pour fin avril ou début mai. Les hôpitaux mexicains sont-ils prêts à accueillir tous les patients ?
Le système de santé mexicain est loin d’être aussi performant qu’en France. Le matériel manque cruellement. À Guadalajara par exemple, la deuxième ville du pays avec presque 5 millions d’habitants, il n’y aurait que 17 respirateurs. C’est peu ! Les personnels soignants sont aussi obligés de travailler sans équipements de protection, certains portent des sacs-poubelle en guise de surblouse… Beaucoup s’en plaignent évidemment. On les accuse en plus "d’avoir le Covid". Les chauffeurs de taxi refusent de les prendre, les bus leur interdisent de monter à bord. Des infirmières ont reçu des seaux de chlore parce que beaucoup de Mexicains les voient comme des "porteurs de virus". Des habitants de la petite ville d’Axochiapan, dans le centre du Mexique, ont aussi menacé d’incendier un hôpital destiné à accueillir des malades du Covid-19 venus d’autres régions.
Le gouvernement répète pourtant que "tout est sous contrôle". On peut en douter ?
(Rires) Je ne sais pas si c’est spécifique au Mexique… Mais en ce qui concerne la propagation du virus, les chiffres officiels tendent à prouver que nous sommes arrivés au fameux plateau. Le vice-ministre de la santé qui bénéficie ici d’une belle cote de popularité annonce le déconfinement pour le 18 mai dans un millier de municipalités. Franchement, j’ai l’impression que c’est beaucoup plus catastrophique en France par exemple. Pour le moment, on s’en sort plutôt pas mal.
Pour finir, à quoi ressemble votre quotidien ?
Je donne des cours de français en ligne. Je sors avec mon masque une fois par semaine dans l’épicerie à deux rues de chez moi. Je privilégie les déplacements courts et l’économie, disons solidaire, en essayant de faire travailler ceux qui en ont le plus besoin et ceux qui vont le plus souffrir de cette crise. C’est quelque chose de très présent ici. Aider le petit commerçant du coin parce que l’État ne le fera pas. L’entraide et la solidarité sont des valeurs très importantes ici. Tout le monde se serre les coudes.
J'ai déjà un compte
Je me connecteSouhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?