Gastronomie : comment les chefs doivent se réinventer en cuisine

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  • Comme Alexandre Bourdas à Honfleur ( à gauche), Julien Boscus s’est lancé dans la vente à emporter durant le confinement : "une expérience en soi".  DR
    Comme Alexandre Bourdas à Honfleur ( à gauche), Julien Boscus s’est lancé dans la vente à emporter durant le confinement : "une expérience en soi". DR Repro CP - DR
  • Sébastien Bras : "Le confinement a confirmé l’idée que les gens viennent aussi au restaurant  pour  un moment d’évasion.  L’Aubrac donne envie."   Jose A.Torrès
    Sébastien Bras : "Le confinement a confirmé l’idée que les gens viennent aussi au restaurant pour un moment d’évasion. L’Aubrac donne envie." Jose A.Torrès Repro CP, - JAT
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Aurélien Delbouis

Si la réouverture des restaurants, bars et cafés est aujourd’hui une réalité, beaucoup des professionnels du secteur se penchent déjà sur l’après Covid et sur la nécessaire adaptation de la profession.

Après un long moment de "distanciation sociale", le retour à la normale dans ces lieux de convivialité n’est sans doute pas pour tout de suite. Même au prix de quelques aménagements. D’abord des locaux qui voient leurs capacités d’accueil amputées dans la plupart des cas mais aussi dans l’assiette. Chez Sébastien Bras, chef emblématique du Puech du Suquet à Laguiole, l’épure restera le maître-mot de cet "après". D’abord en cuisine : cette année, le Suquet ne proposera pas de carte pour se concentrer sur les trois menus qui représentent l’essentiel de la demande. Mais aussi dans l’accueil. Si l’agencement n’a guère évolué – les tables, dans cet établissement doublement étoilé, étant déjà très espacées – le chef a décidé en effet d’investir dans un système de désinfection sanitaire à l’ozone. "On tenait absolument à garantir la sécurité de tout le monde. Toutes les nuits, une machine remplace l’oxygène par de l’ozone pour supprimer les résidus potentiels, désinfecter et éviter tout risque", explique Sébastien. Coût de l’opération : 10 000 euros.

"Le niveau de standing de l’établissement ne nous permet pas de faire les choses à moitié, j’ai donc décidé de tout mettre en œuvre pour que nos clients puissent être reçus dans les meilleures conditions sanitaires." Un souci du détail, propre à Sébastien Bras, qui fonde aujourd’hui tous ses espoirs sur la suite de la saison, déjà fortement impactée : lui qui avec la coronavirus dit avoir perdu 2,5 millions d’euros de chiffre d’affaires, croise les doigts pour limiter la casse. "Au mieux, ce sera une année blanche !" Mais dans le contexte actuel, - selon les estimations, les faillites d’entreprises devraient bondir de 25 % en 2020 - c’est déjà pas mal !"

Boum de la livraison à domicile

Si lui est resté fermé jusqu’à jeudi avant de retrouver ses 54 salariés, d’autres n’ont pas attendu l’annonce, dimanche, du chef de l’État pour retrouver les cuisines. Nombreux en attestent : en deux mois de confinement, la vente à emporter a littéralement explosé. Une tendance de fond qui pourrait se prolonger durablement. A Honfleur, le chef Alexandre Bourdas en a fait l’expérience. Confinement oblige, le Ruthénois étoilé a engagé son restaurant - le SaQuaNa, qui signifie poisson en japonais -, dans une nouvelle aventure : les sushis à emporter. Pas n’importe lesquels, l’équivalent premium de son lointain cousin californien, issu de la pêche locale. Bar de ligne, œuf de truites, wasabi maison… Pour douze euros, les clients ont été gâtés ! "Je pensais en écouler une quarantaine de portions, explique le cuisinier qui a fait ses gammes au Japon, notamment chez Bras, nous en avons vendu 120 boîtes par jour, pendant 3 semaines. Ma femme Delphine était au téléphone presque 24 heures sur 24 pour prendre les commandes ! On est sur les rotules."

Pis-aller de circonstance en période de confinement, les ventes à emporter présupposent sans doute ce que sera la gastronomie de demain. Alexane Roux, dont la start-up NoShow a conçu une solution numérique de commande de plats à emporter pour ces restaurateurs néophytes en la matière ne dit pas autre chose. "La vente à emporter va servir de complément après des mois de fermeture. Les consommateurs vont vouloir bien manger, mais chez eux, en sécurité. C’est un réel changement dans le mode de consommation. Il y aura un avant et un après Covid-19. La profession se réorganise, elle n’a pas le choix !"

Lui non plus n’avait pas le choix. Aux commandes d’Origines, son nouveau restaurant implanté dans le triangle d’or parisien, à une rue des Champs-Elysées, le chef aveyronnais s’est lui aussi converti à la vente à domicile : "Un nouveau métier très prenant. Préparer les bols le matin, assurer l’administratif, la prise de commande, la cuisine, la livraison… Tout ça est très différent de ce que je faisais jusqu’alors." Et si de nombreux établissements prolongeront l’expérience après la réouverture, ce n’est pas le cas d’Origines. "A moins de faire face à une vraie demande, explique le chef. La vente à emporter m’a permis d’amortir les charges fixes. Le but n’était pas de gagner de l’argent mais d’en perdre le moins possible ! Et si, forcément, la réouverture m’inquiète, je ne veux pas continuer plus longtemps. J’ai une petite équipe et je ne peux plus aujourd’hui y consacrer un salarié."

Protéger le patrimoine

Lui qui voit avec "tristesse" l’impact de la pandémie sur son secteur, reconnaît quand même que le confinement a servi à reconnecter les gens à la cuisine : "A faire plus attention à ce qu’ils mangent !". Avec un bémol : "Quand j’ai vu la file d’attente devant le Mac Do, j’ai franchement déchanté ! Mais l’avenir, je l’espère appartiendra aux bonnes tables, soucieuses des produits." Comme le démontre le soutien apporté aux producteurs locaux durant le confinement, l’épidémie du coronavirus a mis en exergue la très forte attente des ménages vis à vis d’une consommation de proximité voire d’hyper proximité. Et à l’heure où la question du souverainisme alimentaire revient sur la table (!), la tendance devrait se retrouver à coup sûr à la carte des restaurants. Certains mouvements sont déjà inscrits comme une évidence, comme le locavorisme, la valorisation du terroir, la transparence, le flexitarisme ou le respect du bien-être animal. La crise va-t-elle accélérer le phénomène ?

"L’avenir est là ! On se bat pour ça, et on ne changera pas, bien au contraire, mais la prise de conscience est longue et pourrait pâtir de la relance économique", prévient Julien Boscus.

"De mon point de vue, le monde d’après sera peut-être pire qu’avant ! Faut pas rêver. Face à la crise économique qui s’annonce, la prise de conscience ne va pas durer", se heurtant de plein fouet à des intérêts pécuniaires. "Peut-être plus tard, je l’espère, mais je sais que ça va prendre encore beaucoup de temps", développe le chef d’Origines, grand défenseur d’une cuisine de "bon sens", respectueuse des produits et des saisons. Un nouveau printemps pour la gastronomie qui, pour répondre aux attentes des consommateurs, devra cependant pouvoir compter sur les pouvoirs publics. "Chacun à son échelle peut faire quelque-chose : manger local, de saison… Poser sa pierre à l’édifice, mais le rôle du politique sera essentiel. Or à l’heure actuelle, on a plutôt l’impression d’aller dans le mauvais sens avec l’assouplissement temporaire du cahier des charges Label rouge par exemple. Repenser la cuisine, s’adapter aux attentes du client c’est aussi revoir les modes de productions et valoriser les plus vertueux." Une prise de conscience salutaire pour le "repas gastronomique des Français" qui célèbre cette année les 10 ans de son classement à l’Unesco.

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