Les "belles" colos au hameau de Moulès, à Fondamente

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JDM

En immersion au sein de l’équipe qui a géré, cet été, les séjours à Moulès.

Plus que centenaires, les colonies de vacances ont encore bon pied, bon œil. Mais dire qu’elles cavalent, c’est aller un peu vite. Un kilomètre à pied, ça use encore les souliers, mais moins, et pas les mêmes.

Autrefois populaires, ces colonies de vacances seraient-elles devenues moins accessibles ? Les enfants des milieux défavorisés y goûteraient-ils moins ? Ce mélange des genres, à même l’herbe et la branche, au bon goût de pain et d’aventure aurait-il donc vécu ? Pas vraiment. La colo d’hier est toujours celle d’aujourd’hui.

C’est toujours partir sans ses parents, s’émanciper, s’amouracher, se retrouver au bout d’un vrai chemin, rattacher ses lacets et courir rejoindre les autres. Elle permet toujours de grandir et de trouver sa place au milieu d’un monde vraisemblablement vaste.

Pourtant les gamins des cités, ceux pour lesquels ces bâtiments jadis sommaires ont été dressés, ceux aux genoux déjà écorchés par le coupant des jours, sont restés sur le pavé. Trois millions d’enfants ne partent jamais en vacances. La vague de modernité qui a déferlé sur les campements les a déposés dans la cage d’escalier. Ils y tentent l’ascension de la rampe, leur Mont Blanc. Seul un quart des enfants âgés de 7 à 12 ans vont en colo. Question de gros sous ? Elle coûte en moyenne 700 € la semaine. Il faut les avoir ! Même si les familles peuvent payer ces séjours avec des bons de la Caf ou des bons vacances.

Progressivement investies par les entreprises privées, les colos sont entrées dans un champ concurrentiel. Et les offres de séjours sont devenues thématiques et alléchantes. Les catalogues, aussi épais qu’un annuaire, proposent options et modules, ateliers, variations, spécialités… Les enfants feront de l’équitation, de la plongée sous-marine, de l’astronomie… Mais pas tous ! Pourtant se détacher de l’étau familial en laissant la petite sœur à ses caprices est bienfaiteur. Tout fout le camp donc ? Carrément pas !

Rencontre au sommet, cet été, au hameau de Moulès, à Fondamente, juste avant la rentrée. Ça sentait le bonheur, ses ombres et ses cris, ses arrondis. Les enfants y faisaient de la musique. Ils y édifiaient des cabanes, une activité maison. Et Antony Dollat, le directeur du centre de vacances Altia club Aladin, nous reçut dans un vrai décor. Et il nous fit d’emblée une révélation : "Regardez, c’est le paradis." Ciel, après l’avoir tant cherché, c’était donc ici !

Le hameau, mot pour mot

Perché au sommet d’une colline qui domine la vallée de la Sorgues, au cœur du Parc naturel régional des Grands Causses, Moulès est un hameau du XIXe siècle autrefois peuplé de bergers et de paysans. Il était délabré. Il y a trente ans, une restauration harmonieuse et intelligente en fit un bel outil pour le tourisme des enfants. D’une capacité de 129 lits, ce centre de 8 hectares appartient à la communauté de communes.

Il est doté d’une ferme pédagogique, d’un jardin médiéval, d’un centre équestre, d’un musée de la paléontologie, d’une mare à apprendre… Il a tout, vraiment tout. Des arbres, des monts, la clarté d’une équipe (ils sont une trentaine), l’amour de la vie et des autres, la paix des soirs… Et, le jour de notre venue, il y avait de la musique. Les notes s’infiltraient entre les feuilles, les noires et les branches. Anne (flûte), Emmanuelle (violoncelle) et Steven (clarinette), trois professeurs de musique, enseignent à 64 élèves du conservatoire, âgés de 7 à 17 ans, lors d’un séjour musique-vacances, deux heures le matin, une heure l’après-midi, avec joie.

Le soir, après la douche et le repas, ce bel ensemble aborde alors la veillée, à la belle étoile, en lançant une partie de loup-garou ou de chamallows grillés. Puis chacun regagne son lit. Les dortoirs sont coquets, petits, aux couleurs douces…

Dans les lits superposés, on y dort tête-bêche, à cause de la méchanceté de la Covid. Et l’on y rêve ! Alors, tout est au mieux dans le meilleur des mondes. Mais il n’est pas question d’évoquer auprès d’Emmanuelle, la violoncelliste, un quelconque niveau social de ses jeunes hôtes "Ces enfants sont privilégiés parce qu’ils font de la musique. Et uniquement, rectifie-t-elle. Le séjour est accessible à tous." Un avis partagé par Georges Glandières qui milite pour un tourisme social et solidaire en tant que vice-président l’Union nationale des associations de tourisme Occitanie. Il est également trésorier d’Altia et ne s’interdit pas un petit excédent, lors d’un exercice, pour voir venir. "Nous accueillons 10 enfants dans le cadre de l’opération "premiers départs", en lien avec le Secours Populaire de Millau et de Rodez. Cette opération concerne 2 400 enfants en Occitanie. Les familles n’ont que 65 euros à leur charge pour le séjour", précise-t-il. Rouvert qu’en juillet, le centre a dû contracter un prêt garanti par l’État pour faire face au manque à gagner lié à la crise sanitaire. Sur 12 000 à 15 000 journées-vacances, il n’y en a eu que 7 000 cette année. Le centre a néanmoins adhéré au concept de colonies apprenantes initiées par le gouvernement, une expression qui fait d’ailleurs bondir Georges Glandières. "Mais, les colonies ont toujours été apprenantes. Depuis le début… C’est leur rôle. Ils n’ont rien inventé", s’insurge-t-il. Une bonne chose donc qu’on aura déjà apprise.

 

Au lointain temps des étés

Il est loin le temps où les enfants partaient le cœur serré à la colo, en train, en car, à pied, avec un sac… Ils quittaient frères et sœurs, parents, chiens, soupes, écorchures… Ils laissaient à quai une misère dont ils ignoraient l’existence. Pour eux, la vie c’était ça. Une autre n’existait pas. La pauvreté leur collait à la peau au perron de la cité ou dans la cour de l’école… 60 millions de petits bougres sont passés par les colonies de vacances.

C’est en 1880 que le pays vote les lois Jules Ferry et se dote d’une école gratuite, laïque et obligatoire. Conjointement à ce texte, afin d’extirper les enfants miséreux des quartiers insalubres et grotesques, naissent les colonies de vacances. Il s’agit d’arracher les enfants pauvres, souvent malingres, à leur milieu urbain. Il s’agit d’envoyer ces défavorisés, le temps d’une poignée de semaines, chez des paysans, au grand air pur, dans des lointains plus fréquentables. Car, en cette fin de siècle, les quartiers paient un lourd tribut à l’industrie. La banlieue ouvrière évolue dans un environnement insalubre et méchant. Et nombre de maladies sévissent, comme la tuberculose et le rachitisme.

Les familles mieux loties envoient les enfants en nourrice à la campagne. Ces petits-là se remplumeront en se frottant à une solide alimentation paysanne… L’objectif fondamental des colos est l’apprentissage du vivre-ensemble et de l’autonomie. Elles émanent de la société civile. Elles sont le fait de paroisses, d’associations d’instituteurs laïques, de municipalités, de comités d’entreprise… Dans les années 50 et 60, grâce à une aide soutenue de l’État, les enfants du baby-boom partent donc. Les images des trains bondés de mômes issus de la classe ouvrière sont saisissantes de vérité. Ils partaient… On comptait 400 000 petits nomades estivaux après la seconde guerre. Ils étaient plusieurs millions au milieu des années 50. Ce nombre est resté stable jusqu’en 1990, avant l’amorce d’un déclin. Car il y a eu un déclin sévère. Le nombre de nuitées en colonies a diminué de moitié ces vingt dernières années.

Allongement de la durée des congés des parents, consommation de masse, montée de l’individualisme, repli sur la structure familiale, disparition des infrastructures, augmentation des prix… 1,4 million de jeunes séjournent encore dans ces centres d’accueil réinventés, ces dernières années. Une belle chambrée tout de même. Alors, en route !

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