Saint-Victor-et-Melvieu. Melvieu : "Loulou des Bois" planche sur ses palettes avec bonheur

Abonnés
  • "Loulou des Bois" planche sur ses palettes avec bonheur
    "Loulou des Bois" planche sur ses palettes avec bonheur Centre Presse - J.-P. Brun
  • "Loulou des Bois" planche sur ses palettes avec bonheur "Loulou des Bois" planche sur ses palettes avec bonheur
    "Loulou des Bois" planche sur ses palettes avec bonheur Centre Presse - J.-P. Brun
Publié le
J.-P. Brun

Lionel Meeuws est installé à Melvieu où il travaille le bois pour en tirer un cadre de vie.

J’ai rencontré "Loulou des Bois" sur le marché de Salles-Curan où je musardais en quête d’un melon. Ou d’un camembert. Il étalait son atelier à même la rue, un atelier qu’alimentaient des palettes de récupération. Les palettes, c’était son fait d’armes. Mine de rien, il présentait sur le trottoir ces bois-là, sûrement promis au bûcher, qu’il avait sauvés : meubles, bibelots, panneaux fantaisistes, étagères, écriteaux où il posait un regard acidulé sur la vie, petits bancs…

Il semblait heureux de vivre. Et pourquoi pas ! C’est peut-être la solution à bien des maux. Et il n’y a aucune honte à essayer tout en désossant des palettes. Je l’ai approché en échangeant deux banalités et un soupçon de certitude. Il était ébéniste de formation mais jouait son métier sur les planches en écrivant aussi ce qui lui passait par les mains. L’artiste, cependant, était accommodant. Il écrivait aussi sous la dictée. "Je marque ce que vous voulez. C’est à la demande. Dites-moi ! Une liste de courses ou une déclaration d’intention, d’impôts… J’ai de la place !".

Ça tombait bien ! Je voulais justement faire quelque chose qui reste, qui me survive, que mes héritiers se disputent façon Picasso ou Hallyday, ces deux défunts hors de prix qui ont fait grimper le coût de la vie. En deux coups de cuiller à pot, je manigançais une idée. Pierre Dac avait écrit : "Tout est dans tout, et réciproquement." Or, quand on parle de tout, il faut être précis. Cette saillie donnait certes un aperçu de l’ensemble dans sa globalité, mais allait trop loin ou pas assez.

Je décidais d’y apposer ma griffe en proposant à Loulou de peindre cette conclusion modeste mais implacable, sur sa palette de fortune : "Tout est dans tout, mais pas complètement". Il s’exécuta. Le propos avait meilleure allure. Cette considération philosophique est désormais accrochée au-dessus de mon bureau et me pend au nez.

Dans la foulée, le même jour, je récidivais. Je m’offris cette pancarte qui en disait long à l’entrée de ma maison. Ou à la sortie, la chose était réversible : "Ici l’infini a fait ses débuts, après il a mis les bouts". Il n’empêche que la confection de ces panonceaux n’a rien de sotte. Il convient même d’y réussir ses écrits avec une excellente mention.

Rencontre, à Melvieu, avec Lionel Meeuws, 45 ans, récupérateur de bois et palettes, écriveur, menuisier, poseur de mobilier structure bois, artisan ébéniste, sculpteur à la tronçonneuse, exploitant forestier sur de petits chantiers et plus si affinités. Loulou n’est pas de bois !

Des cabanes tombées de haut

C’est avec un projet de cabanes perchées dans les arbres que l’artisan ébéniste est arrivé avec sa femme et son fils en Sud-Aveyron, en 2008, sans prévenir. Il venait de Niort et rejoignait fringant le sud. Il avait travaillé son sujet de nombreuses heures inspirées. Et il connaissait sa zone de chalandise. C’est ainsi qu’il nommait les Aveyronnais. Il avait choisi notre département pour ses arbres et le peu de cabanes qui y poussaient, même au printemps. Étude de marché, banque, implantation, mairies, collectivités, bouches à oreilles…

Tout semblait dégagé. Mais l’horizon est trompeur, incertain, malin. Un matin patatras, la cabane fut sur le chien. De gros ennuis de santé terrassent le jeune entrepreneur. De ceux avec lesquels on ne compose pas. La vie et son irrépressible soudaineté. La vie dans sa cruauté. La palette des couleurs passe souvent du blanc au noir sans transition. C’est comme ça ! "J’ai connu quatre ans de galère. J’ai dû lâcher l’affaire et desserrer les mains… bien forcé, se souvient-il. Mais je n’avais pas perdu l’espoir de faire quelque chose. Il était là, dans ma poitrine…". L’espoir ! C’est par lui que tout commence et que tout se perpétue. Lionel Meeuws se rétablit et alla de mieux en mieux. S’ensuivirent alors des jours et des fins de mois, des petits boulots à la va-comme-je-te-pousse, de l’intérim ni raison, l’embauche et la débauche, le gagne-pain quoi…

De quoi meubler 20 fois l’Élysée

"Durant cette période, je faisais des stocks. J’entassais, s’illumine-t-il. J’avais plus d’un an de matériel d’avance. Et mille entrepôts dans ma tête. Je savais que j’allais repartir. L’entourage me poussait. Mais je ne voulais pas faire comme tout le monde. Je voulais ça ! Et puis je me suis jeté à l’eau. Je me suis lancé le 11 novembre 2018. Et ça marche. J’arrive à vivre. J’ai même du boulot jusqu’en mars. Pire, je refuse du monde. C’est dingue."

"Loulou des Bois", toujours aux abois, est passé ou repassera par là, sur les marchés de Saint-Affrique, de Millau, de Salles-Curan, dans les foires, les salons, chez les particuliers. Dans le camion, son attaché caisse, il y a plein de belles constructions, cuisines, bibliothèques, rambardes d’escaliers, chevalets, vaisseliers, commodes… De quoi meubler vingt fois l’Élysée ou ses nombreuses ramifications, ses colonies… Craignant un sournois confinement, l’artiste privilégiera cet automne les chantiers des particuliers aux marchés de Noël et autres réjouissances. "Mais j’ai tout prévu, j’ai plus de trois mois de matériel, au cas où", annonce-t-il, goguenard.

Si sa petite entreprise ne connaît pas la mouise pour l’instant, il donne malgré tout le ton à l’entrée de son échoppe, prévoyant : "Soutenez les artistes. Faîtes en sorte que votre argent parvienne à des personnes ordinaires plutôt qu’à de grandes multinationales sans âmes…". Une modeste façon de lancer là une bien riche idée !

La raison du récupérateur

Chaque geste doit trouver son prolongement dans sa force de récupération. Après un effort, il faut savoir récupérer, c’est entendu. Certains même, plus prévoyants, récupèrent avant, bien avant… Et ça les occupe bougrement. Mais, c’est vital, s’il faut s’économiser, il faut aussi économiser la ressource et récupérer mille choses, tout, le reste à peine cassé, et ces satanés emballages qui enserrent nos humaines activités comme une pieuvre. Récupérer pour que la planète tienne le coup après nous, les gens, les passants…

La France affiche un taux de recyclage de 22 %, moins que la moyenne européenne (31 %). Dans notre société du prêt à jeter, du tout foutre en l’air, la récupération est donc un des gestes de premiers secours que l’on devrait apprendre dans le ventre de notre mère, tout en attendant la suite… Elle viendra. Lionel Meeuws croit en la reconstruction, en la réhabilitation, en la seconde chance. Les objets méritent tous une réincarnation. Il récupère des bidons, des palettes, des bois morts. "Avec de la récup, on peut tout faire. Je fais tout. Les possibilités sont immenses. J’ai cherché pendant dix ans où trouver des palettes, 30 kilomètres à l’entour, pas plus loin. Et c’est déjà beaucoup. Plus le circuit est court, plus il est vertueux. J’ai désormais mon réseau, 7 fournisseurs officiels, 300 palettes de côté, 200 qui m’attendent, de quoi voir venir", s’enthousiasme-t-il.

Il lui fallait aussi du bois mort, ce bois mort qu’on ressuscite, qui retrouve le chemin de sa sève après maintes manipulations, après maints égards… L’artiste a distribué mille et une cartes dans le coin pour informer qu’il cherchait une forêt à entretenir, à aimer, à soigner… Il l’a trouvée. C’est fait. Il entretient désormais 7 hectares de bois et exerce enfin son métier dans ce qu’il sait faire de mieux, dans sa branche. Et il ne facture donc pas sa matière première. C’est la base du système de ce loulou-là. "Je ne compte que le temps travaillé. C’est ce qui me permet d’afficher de petits prix. Sur terre, on a tout sous la main. Tout suffit."

On pourrait donc vivre là encore des millions d’années. Chiche ! Et je le quitte sur ces mots sereins, réconfortants. Je suis toujours entouré de ces panneaux de pin peint qui disent la volatilité des choses : il ne faut pas piétiner ses rêves. Sûrement pas. "Loulou des Bois" en est la preuve vivante. Je m’en vais en me taisant. Que dire d’autre ? D’autant qu’avec lui, il est sot de chercher à meubler !

Contact au 06 66 25 07 74 ou sur Facebook : Loulou des Bois, palette et récup Melvieu.

Cet article est réservé aux abonnés
Accédez immédiatement à cet article
2 semaines offertes
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?