Villefranche-de-Panat. Toussaint : d’un maillet tendre, "Ricou" extrait de la pierre un visage ou des larmes

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  • Henri Aussel, alias "Ricou", impose sa vision au grès.
    Henri Aussel, alias "Ricou", impose sa vision au grès. repro cpa
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Publié le
Jean-Paul Brun

Henri Aussel est sculpteur de pierre, à Villefranche-de-Panat.

C’est Toussaint. Vilaine année 2020 qui m’a pris ma mère et ce qu’il me restait d’insouciance et de destin. Année pourrie par un virus malin. Alors je porte le masque pour m’en protéger. Et personne, en ces temps de cache-cache universel, ne suppose l’étendue de mon chagrin derrière le bâillon qui me ceint. Je marche d’un pas un peu plus voûté. Voilà ! Mais je marche. Et j’avance.

Je vais chez Henri Aussel, alias "Ricou", le sculpteur de pierre, à Villefranche-de-Panat. Je ne le connais pas. Mais je pense à ma mère, à sa pierre, en ce jour de Toussaint et d’éternité. Et j’ai envie de rencontrer cet homme qui impose sa vision au grès. Je me tais en dedans en m’y rendant. C’est pas simple de la ramener quand on a perdu un amour, des gens aimés…

Inaltérable, la pierre garde longtemps nos émotions les plus profondes. La maison de "Ricou" est aussi un amusant musée, m’a-t-on dit. Il a du talent. Et de l’humour. Si en plus je peux me distraire. Je suis un peu en avance. Je risque de le surprendre le burin à peine apprêté.

J’en profite pour faire un saut au petit cimetière de La Besse qui dort là, affalé sur des tas d’années. Il y fait doux. Le vent y est léger et murmure la guérison et le pardon dans les allées. Je m’imprègne du formidable silence des pierres avant ma rencontre avec l’artiste. Elles ne bougent plus, les pierres. Elles sont comme l’histoire. L’histoire des hommes. Elles parlent des choses encore et encore pour tenter de les comprendre. Un trou, ici, fraîchement creusé, attend son heure. Dans cet endroit, il semble que la souffrance n’a plus cours. Son temps est passé. Elle a assez duré, la souffrance. Plus personne n’en veut. C’est le front du refus, un cimetière. Je quitte les lieux, apaisé. Et je tourne délibérément le dos aux apitoiements paralysants. Je me défais de l’ombre d’une croix pour rejoindre la lumière de la rue et son bruit plus tempéré.

Je descends chez "Ricou". Il m’attend. "Comment allez-vous ?", me lance-t-il. La rencontre commence bien ! "J’ai cueilli ce brin de bruyère, chantait Apollinaire. Nous ne nous verrons plus sur terre, mais souviens-toi que je t’attends…" Attendre ! La pierre justement a une infinie patience !

Prendre l’arthrose à bras-le-corps

Si on estime à 15 000 le nombre de tailleurs de pierre, les vrais sculpteurs ne sont que quelques centaines. Sans compter les nombreux amateurs, qui gouge et massette en main, comme "Ricou" à 74 ans, déplacent les montagnes pour façonner un lapin, une étoile ou la tête bougrement ronde d’une mégère mal lunée.

"J’ai beaucoup plus de mal à pousser le burin, avoue-t-il, d’emblée. Je sculpte depuis 30 ans mais l’arthrose me sanctionne désormais. J’ai l’épaule et le coude bien secoués. J’ai commencé à bosser si jeune. Le corps s’en souvient. Mais je fais avec… En sculpture, il faut toujours frapper. Je frappe…"

On est entouré de maintes et une statues aux traits exorbités, marquées comme la surface de l’eau sous le jet d’un caillou ou les coupures d’une barque. Tout un peuple de pierres et de lumières, au sang froid, est dans le salon, indifférent à nous, alors que Maryse, son épouse, illuminée d’un sourire vrai, sert un café fumant et bienveillant. Un crieur, que l’on n’entend pas, crie à s’en faire péter les veines.

"Je ne travaille que le grès, poursuit-il. Le grès, faut pas le bousculer. Je le récupère dans les vieilles maisons, sur les chantiers, dans les ronces. Je le nettoie et je le sonde à la massette. Au bruit, je sais s’il est fendu. S’il est fendu en son cœur, alors il n’y a rien à faire. Il faut le jeter. Il s’affalera à la moindre tapée."

Comme un accordeur de piano, "Ricou" accorde ses pierres à l’oreille, au jugé. Il ausculte leur moindre battement en s’y penchant. Et il parle d’elles à longueur de mots, que d’elles. Le monde peut battre de l’aile, et Dieu sait s’il ne s’en prive pas, sa seule hantise, son unique crainte, est son prochain grès. Son principal sujet, ce sont ses sujets.

"Quand on attaque une forme, s’enthousiasme-t-il, un visage par exemple, il faut penser d’abord à tout ce qu’il y a en avant. Le nez ! Il faut penser qu’il y a un nez qui ressort. Sinon, pour rattraper l’oubli, il faut rétrécir l’ensemble, le creuser, le déformer… C’est pas du boulot. En résumé, si on occulte le nez on risque donc de perdre la face. Sans compter que parfois, il y a un bout de nez qui s’en va, s’empresse-t-il de rajouter, versant là dans le catastrophisme."

Mince. Et pas question d’y coller un pansement. Ça se verrait ! "Ricou" passa le plus clair de sa vie dans le bâtiment, un labeur conjugué quotidiennement à tous les temps, bons et imparfaits. À ce sujet, son fils écrivit sur un livre recensant ses œuvres : "L’argent ne peut pas être mieux placé que dans les mains d’un ouvrier." Il n’est hélas pas souvent logé là. "Ricou" ne fit pas fortune. On s’en doute. Mais unir la matière aux formes n’a pas de prix. "Le grès est devenu un ami, conclut-il. Dans les cimetières, c’est plutôt le granit. Ça résiste mieux aux années…" La mort est longue !

L’art et la matière

La première étape consiste donc à bien choisir sa pierre, celle qui n’a pas de fissures et qui ne risque pas d’éclater. Tendre ou dure, la pierre sera composée de calcaire, de grès, de plâtre, de granit, de basalte, de marbre. L’artiste commence en s’attaquant aux grandes portions du bloc de pierre non désirées. Il utilise un ciseau à pierre, un burin ou une pointerolle. Il pose la pointe en acier contre la partie de la pierre qu’il souhaite enlever et frappe ensuite avec le maillet de manière contrôlée mais soutenue.

La plupart des sculpteurs travaillent en rythme, en tournant leur œuvre à chacun de leurs coups, comme tourne la terre à chacun de ses jours. Un peu comme si l’on creusait le temps jusqu’en son cœur pour en extraire patiemment horloges et minuteurs, stèles ou croix… Lorsqu’il a enfin donné à son œuvre la forme rêvée, il prend alors une râpe ou un rifloir. Le rifloir est utilisé pour créer des détails tels que les plis des vêtements ou les mèches de cheveux… L’étape finale est le polissage. L’important ensuite est que la sculpture reste polie quoi qu’il se passe là et ici ou à côté ! Imperturbable !

Contact (pour petite commande uniquement), Henri Aussel au 05 65 46 50 33.

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