"Comme le cinéma, le jeu vidéo est là pour faire rêver. Tout le monde devrait pouvoir s'identifier" (Jennifer Lufau)

  • Jennifer Lufau : "En discutant avec la communauté d'afrogameuses, j'ai réalisé que l'on n'appréciait pas totalement notre expérience du jeu à cause des commentaires racistes et sexistes. Il ne faut plus laisser passer ces comportements".
    Jennifer Lufau : "En discutant avec la communauté d'afrogameuses, j'ai réalisé que l'on n'appréciait pas totalement notre expérience du jeu à cause des commentaires racistes et sexistes. Il ne faut plus laisser passer ces comportements". Jennifer Lufau
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Relaxnews

(ETX Studio) - Le 22 novembre, le jeu vidéo est mis à l'honneur. Une journée mondiale est en effet consacrée à cet univers, sous ses formes les plus ludiques. Mais c'est aussi l'occasion de faire la lumière sur tous les aspects à améliorer dans ce secteur, notamment le manque de diversité. C'est le pari de Jennifer Lufau, joueuse de longue date et créatrice d'"Afrogameuses". Ce compte Instagram, qui s'est récemment mué en association, milite pour donner plus de visibilité aux femmes noires dans l'industrie du jeu vidéo.

Jennifer Lufau est une gameuse dans l'âme. Cette passionnée de longue date a découvert l'univers du jeu vidéo vers l'âge de 7 ans, dans un cybercafé au Bénin, pays où elle a passé une partie de son enfance. Son initiation se fait avec "Prince of Persia", célèbre jeu des années 90, grâce auquel elle apprend du même coup à manier clavier et souris. "Dès le départ, j'étais fascinée par les jeux sur PC", confie la joueuse aujourd'hui âgée de 27 ans. 

Autour d'elle, pas d'autre fille avec qui partager cette passion. "Je jouais beaucoup avec mon frère, mais à part mes cousins, je ne connaissais personne d'autre qui jouait. Ce n'était pas un sujet avec mes copines de classe. Je n'en parlais de toute façon pas beaucoup en dehors de la maison", se souvient Jennifer. 

À l'âge de 9 ans, elle quitte l'Afrique pour emménager à Paris avec sa famille. Faute de pouvoir se procurer un ordinateur, ce n'est que vers l'âge de 17 ans qu'elle recommence à jouer régulièrement. "J'étais ce que l'on peut appeler une 'hardcore gameuse!", affirme-t-elle. Là encore, elle réalise qu'elle est l'une des rares filles à jouer. "Je me disais que j'étais sûrement un peu différente des autres, sans que cela me pose un réel problème."

Une différence, qui une fois à l'âge adulte, finit tout de même par l'interpeller. Où sont les femmes noires dans les jeux vidéo ?, s'interroge-t-elle. "Le constat était le même partout : dans les studios de conception, dans les salles, dans les jeux en réseau...  J'ai aussi réalisé que les personnages avec qui je jouais ne me ressemblaient pas ou alors qu'ils étaient très sexualisés ou stéréotypés", explique Jennifer. 

Combattre le racisme dans les jeux vidéo 

Aujourd'hui, la gameuse parvient à mettre des mots sur ce manque de diversité dans le jeu vidéo. "Cela est venu au fur et à mesure, à travers des discussions et des réflexions que j'ai pu avoir sur le sujet. J'ai commencé à y réfléchir sérieusement cet été, alors que le mouvement Black Lives Matter prenait une ampleur inédite dans le monde. Cela m'a donné envie de me lancer à ma propre façon pour combler ce manque de visibilité dans les jeux. C'est aussi ma manière de contribuer à la lutte du fléau du racisme que l'on tente de combattre par tous les moyens aujourd'hui".

Inspirée par le mouvement "BLM", Jennifer se lance dans la rédaction d'un article pour son blog "Call me Jane Bond" sur la communauté d'afrogameuses. "J'ai commencé à chercher des profils d'afrogameuse, mais j'ai vite réalisé que la tâche allait être ardue en France. Je me suis donc tournée vers des groupes internationaux comme Women In games, et j'ai posté des appels à témoin", raconte-t-elle.  

À défaut de trouver des joueuses francophones, Jennifer commence donc à recueillir des témoignages de femmes. "J'ai trouvé un groupe assez ciblé de joueuses, même si après avoir fait un sondage pour savoir combien de femmes noires nous étions, cela n'excédait pas les 13%", pointe-t-elle. 

Sensibiliser au cyberharcèlement 

Après la rédaction de cet article, Jennifer a un déclic et se dit qu'elle peut aller plus loin pour faire bouger les lignes et améliorer la visibilité des joueuses. Aussitôt pensé, aussitôt appliqué : le compte '"Afrogameuses" est lancé en juillet, d'abord sur Instagram, puis sur Twitter. L'idée est de faire connaissance avec d'autres d'afrogameuses et d'échanger autour de leurs expériences dans le jeu vidéo, mais également de partager leurs attentes et de leur ressenti vis-à-vis de cette industrie. 

"Quand j'ai créé le compte, j'ai commencé à en faire la promo sur des groupes Facebook. L'accueil était toujours très bienveillant et j'ai compris qu'il y avait un réel besoin de côté-là, une envie commune de voir l'industrie évoluer vers une représentation plus diverse, plus authentique. D'ailleurs, comment peut-on concevoir un univers entièrement à partir de notre imagination, sans être capable de reproduire la réalité ? C'est pour moi un paradoxe incompréhensible", soulève la militante. 

Avec Afrogameuses, Jennifer espère aussi sensibiliser au fléau du cyberharcèlement : "Les jeux vidéo sont censés être un univers fun, où l'on fait des rencontres. Or, mon expérience m'a fait comprendre que ce monde peut être très toxique. J'ai reçu beaucoup de commentaires sexistes et racistes très violents tels que : 'Tu n'as pas ta place ici', 'Déshabille-toi', 'T'es une belle pute', 'Négresse'… En discutant avec la communauté d'afrogameuses, j'ai réalisé que l'on n'appréciait pas totalement notre expérience à cause de ces commentaires haineux. Il faut dénoncer ces comportements, ne plus les laisser passer", martèle la passionnée de jeux vidéo.

Un guide antimisogynoir dans les tuyaux 

Au-delà des acteurs du secteur, le problème de la visibilité dans le jeu vidéo passe aussi par les personnages, souligne la créatrice d'Afrogameuses : "Même si on commence à avoir de super exemples, il y a encore peu de personnages féminins noirs qui occupent un rôle central dans les jeux. Comme le cinéma, le jeu vidéo est là pour faire rêver. Tout le monde devrait pouvoir s'identifier". 

À l'heure actuelle, Afrogameuses compte déjà près de 3000 abonnés sur Twitter. C'est aussi devenu une association, avec une multitude de projets pour l'horizon 2021 : création d'un guide anti-misogynoir (anti-sexisme et anti-racisme) voué à accompagner les jeunes gameuses victimes de harcèlement, rédaction d'un manifeste pour des personnages féminins noirs non stéréotypés...  

"Il est également important pour nous de montrer aux gameuses qu'elles peuvent intégrer le jeu vidéo de manière professionnelle si elles le souhaitent. On les encourage, on les accompagne dans leur projet. On leur parle aussi de joueuses noires connues, dans l'espoir de les inspirer", précise Jennifer Lufau, qui songe à organiser des masterclass dans ce sens avec des professionnels du secteur.  

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