Instruction à domicile en Aveyron : "Chez nous, c’est l’école de la vie"
Depuis 1882, la liberté d’instruire leurs enfants à domicile est laissée aux familles. L’avant-projet de loi qui sera examiné mercredi 9 décembre en conseil des ministres, initialement censé lutter contre l’islam radical et les séparatismes, va totalement rebattre les cartes en la matière et ne permettre ce mode d’instruction que pour des motifs très limités. "Sidérés" par la nouvelle, Marie et Christian comptent bien continuer à instruire leurs trois enfants à domicile tant ils reconnaissent de vertus à cette pratique.
Il s’appelle aujourd’hui "l’avant-projet de loi confortant les principes républicains" et ne fait plus mention, comme initialement, des termes de séparatisme ou laïcité. Il comporte un panel de mesures pour lutter, notamment, contre polygamie ou le mariage forcé et prévoit un contrôle accru associations et des conditions de l’exercice du culte.
Il est un autre domaine dans lequel la donne va changer, celui de l’enseignement à domicile, qui concerne 50 000 enfants en France et près de 170 dans le département, un chiffre que l’Inspection académique n’a cependant pas été en mesure de confirmer. Parmi eux, trois petits Aveyronnais de 3 ans et 5 ans (des jumeaux), installés non loin de Rodez.
C’est un "long parcours", comme le souligne leur maman Marie, qui les a amenés à suivre aujourd’hui l’instruction en famille. "Je ne suis pas contre l’école, le métier d’enseignant est l’un des plus importants. Mais après m’être passionnée pour le sujet du développement de l’enfant, je pense que l’école ne favorise pas les apprentissages", poursuit-elle.
La démarche initiale vient de la crainte des jeunes parents que leurs enfants, nés grands prématurés, puissent ne jamais être scolarisés de manière classique. Mais de fil en aiguille, l’idée a fait son chemin et les petits, aujourd’hui en parfaite santé, suivent l’instruction à la maison.
Avec la possibilité, s’ils en font un jour la demande, d’intégrer le système scolaire classique. "Instruction à domicile, école à la maison… il faut enlever tous ces termes. Chez nous, c’est l’école de la vie", résume Marie.
Un temps tournés vers des écoles hors contrat, les jeunes parents ont aujourd’hui fait le choix des apprentissages libres. Si les enfants se passionnent un temps pour l’espace, ils évoqueront ensemble les planètes, de la gravité, feront des calculs, apprendront à écrire le mot "fusée", visiteront la Cité de l’espace, parleront d’Armstrong ou de Thomas Pesquet…
"Nous balayons tout un pan de matières, académiques ou pas. Nous avons choisi l’instruction libre, ce sont eux qui viennent vers nous. Ils fonctionnent par mimétisme et veulent apprendre à lire, écrire ou cuisiner comme nous. Il y a un enthousiasme fabuleux", explique Christian.
Adieu le choix de vie ?
À l’écart du système scolaire et de ses "comparaisons permanentes entre les uns et les autres", la vie "glisse" pour la petite famille où aucun créneau horaire n’est véritablement sanctuarisé pour l’instruction. Contrairement aux idées reçues, les enfants sont "ont une vie sociale" comme l’explique leur père, avec des amis, des voisins, de la famille et beaucoup d’activités sportives en club. "Il y a une autre idée reçue, c’est que les parents pratiquant l’instruction à domicile sont tous des marginaux, illuminés… nous avons une situation tout à fait "normale"", précise Christian.
Tous deux ont été "sidérés" en découvrant le contenu du projet de loi. Il mettrait fin à la scolarisation à domicile pour tous les enfants dès 3 ans, sauf "pour des motifs très limités tenant à la situation de l’enfant ou à celle de sa famille". Le dispositif resterait autorisé pour les sportifs de haut niveau, des raisons de santé, d’itinérance… mais aucunement pour un "choix de vie", une "philosophie de vie" comme l’ont fait Maire et Christian.
"Nous ne sommes absolument pas dans le "séparatisme", c’est stupéfiant ! On inculque les valeurs de la République à nos enfants", affirment-ils. "Nous avons des contrôles. La mairie, tous les deux ans, et chaque année une inspectrice de l’Éducation nationale et un conseiller pédagogique viennent et testent les enfants. S’ils estiment qu’il y a un problème ils ont le droit de les rescolariser immédiatement",
Pour préserver leurs enfants s’ils décident de rejoindre le système scolaire classique, les jeunes parents ont préféré garder l’anonymat.
Cultes, élèves "identifiés", polygamie : ce que prévoit le texte
L’avant-projet de loi "confortant les principes républicains", destiné à lutter contre les séparatismes, sera présenté le 9 décembre en conseil des ministres pour une éventuelle entrée en application à la rentrée 2021.
Outre l’aspect éducatif (lire par ailleurs), le texte, dans sa version actuelle, impliquerait de nombreux changements.
- Les associations, mieux contrôlées, ne pourraient "tenir des discours qui soient contraires à la République", le texte instaurera un "contrat d’engagements pour le respect des valeurs de la République et des exigences minimales de la vie en société" obligatoire pour recevoir les aides publiques.
- Le texte prévoit de pénaliser les documents attestant de la virginité d’une femme en prévoyant la condamnation du personnel de santé qui l’établirait et renforcerait "la réserve générale de polygamie pour la délivrance d’un titre de séjour".
- En cas de présomption de mariage forcé, la loi prévoit de renforcer les "obligations d’investigations".
- Le gouvernement instaurera un identifiant national pour chaque élève pour s’assurer qu’aucun enfant n’est privé "de son droit d’instruction". "Le fichier permettra de savoir qui est inscrit à l’école y compris celle à domicile […] Cela nous permettra de faire des contrôles afin que tout enfant bénéficie de ce suivi", expliquait dernièrement le Premier ministre.
- Le texte a pour autre ambition de "garantir la transparence des conditions de l’exercice du culte" en modifiant la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État concernant le financement des associations cultuelles. Les dons étrangers dépassant 10 000 euros seront soumis à un régime déclaratif de ressources.
- Une "procédure de carence républicaine" devrait voir le jour. Elle autorisera les préfets à "suspendre les décisions ou actions d’une collectivité qui méconnaîtraient gravement la neutralité du service public".
L’avant-projet de loi sera présenté en conseil des ministres jeudi décembre. Il sera en discussion dans l’hémicycle à la fin du mois de janvier (voire mi-février) avant l’entrée en piste du Sénat, pour une éventuelle entrée en application à la rentrée 2021.
Mobilisation : le réseau local entre en action
Certains des parents pratiquant l’instruction à domicile dans le département ont partagé leurs inquiétudes avec le député Stéphane Mazars vendredi 4 décembre. "On est très clair, ce qui est visé, c’est certains territoires de la République avec des gamins qui seraient sous l’influence d’une éducation plutôt anti-républicaine, religieuse, avec, derrière, en ligne de mire, le radicalisme islamiste", expliquait l’élu au sortir de cet entretien.
Les parents ont pu expliquer leurs motivations, leurs approches… "On est dans l’attention bienveillante par rapport aux enfants, des situations qui n’ont rien à voir avec ce qui est visé. On voit qu’on a des enfants ouverts vers l’extérieur, épanouis… Il faut peut-être être plus à l’écoute de ces situations-là… On a des enfants épanouis, des familles qui s’y retrouvent. Le texte devrait bouger à l’assemblée".
Visiblement mécontents, les parents ont réagi à cet échange par le biais d’un communiqué : "Il nous a témoigné de son attachement à l’école, surtout rurale et que si plus de gens font comme nous, c’est dangereux pour la préservation des petites écoles. Qu’il est pour plus de contrôles pour mieux nous connaître et nous accompagner dans notre IEF (?!?!). Qu’en gros on garde la liberté d’instruction avec plus d’exceptions que proposées maintenant. Facile comme ça ce sera plus "constitutionnel" avec des amendements de liberté sous conditions. On lui a dit notre mécontentement, que tout existait déjà…".
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