Rodez : "Soulages est à la fois l’instant et la mémoire"

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  • Pierre Soulages. Pierre Soulages.
    Pierre Soulages. JMM
Publié le , mis à jour
Propos recueillis par Vincent Costes

En ce 24 décembre, jour du 101e anniversaire du peintre, regards croisés de Benoît Decron et Michel Hilaire, respectivement directeur du musée Soulages de Rodez et du musée Fabre de Montpellier, sur l’artiste et son œuvre
 

Comment jugez-vous cette année 2020 pour Pierre Soulages, son œuvre, et pour les musées qui la montrent ?

Benoît Decron : Professionnellement, comme tous mes collègues, on a chancelé. Le plus dur à vivre c’est la perte de contact avec le public. Mais 2020 restera une année exceptionnelle pour le musée Soulages. Nous avons eu une troisième donation très importante, un acte majeur de générosité selon l’administration du ministère de la Culture.
C’est énorme, ça va nous permettre de faire évoluer le musée avec un bel ensemble d’outrenoirs. Dont une œuvre de 2019, l’œuvre du centenaire. Notre musée a donc des œuvres de Pierre Soulages de 1934 à 2019. Je ne sais pas s’il y a beaucoup de musées au monde qui ont autant d’œuvres d’un même artiste sur un tel laps de temps. Et on a aussi eu le don de Karsten Greve (galeriste allemand, NDLR), une très belle œuvre de 1997.

Michel Hilaire : Une année globalement en demi-teinte pour nous avec un printemps et un automne hautement perturbés.
On avait une très belle fréquentation sur les premiers mois de 2020, sans doute liée à l’anniversaire des cent ans de Pierre Soulages, célébré en 2019, mais dont l’effet s’est prolongé sur les premiers mois 2020. On avait fait un accrochage inédit, mis des vitrines pour évoquer les relations étroites, affectives, de Soulages avec Montpellier et le musée Fabre. On a montré pour l’occasion quelques pièces qui nous appartiennent, que l’on n’avait jamais vu.
Et puis nous avons ce prêt, obtenu dès juillet 2019 pour plusieurs années de la part d’un collectionneur anonyme, de cette œuvre magnifique (intitulée 23 décembre 1959, NDLR), qui a enregistré un record de vente à New York chez Christies (adjugée, pour 9,258 millions d’euros, NDLR). Tout cela a vraiment profité au musée au début 2020, avant de connaître les vicissitudes que l’on sait…

Comment expliquez-vous cette longévité de Pierre Soulages. De l’homme, de l’artiste, de son œuvre ?

B.D. : Je ne dirais pas longévité, mais continuité. Et puis un artiste, s’il est bon à 14 ans, il sera bon à 101. Soulages, c’est une forme de modification dans la continuité, il fait le lien entre l’art moderne et l’art contemporain. Les œuvres des années 50 de Soulages, sont-elles des œuvres contemporaines ? Non, c’est de l’art moderne. Et les œuvres de 2020, c’est de l’art contemporain, fait par un homme de 101 ans.Rien que ça, c’est quelque chose de particulièrement curieux. Avec Soulages, c’est un plaisir de parler de Nicolas de Staël ou de tous les anciens présidents de la République qu’il a connus, mais aussi, dans le même temps, de tout l’intérêt qu’il porte aux nouvelles technologies !

M.H. : Soulages, c’est d’abord une force de la nature, un homme-menhir, avec quelque chose d’enraciné, de solide, puissant, à l’image de son travail, de ses formats. Il est installé de façon très sûre dans sa création qui s‘est développée sur plus de 70 ans. Dès qu’il le peut il se rend encore dans son atelier. Il me l’a encore confirmé ce matin (jeudi dernier, NDLR) au téléphone. Il continue encore à exister à travers son travail, il a conscience d’avoir fait une œuvre, singulière. Il ne lâche pas.
C’est un explorateur, un Magellan de la peinture moderne. Il a exploré et trouvé un territoire, en 1979, avec les outrenoirs. Il a inventé quelque chose. Les toiles des années 50 sont magistrales, superbes, très convoitées, mais elles sont encore dans le système de clair-obscur qui remonte à la Renaissance. En 1979, il y a une rupture avec Soulages. On se déplace devant la toile, la lumière fait partie de la toile elle-même. Et, au musée Fabre, nous avons le premier outrenoir, nous avons la matrice de ce travail.

À titre personnel, que vous a apporté Pierre Soulages ?

B.D. : Professionnellement et humainement, c’est une chance inouïe. Pierre Soulages c’est quelqu’un qui stimule énormément. Il est très exigeant. Avec les autres, avec lui-même. Il m’a poussé à être encore plus rigoureux. Moi, tout ce que je fais, je sais que Pierre Soulages va le relire. Et c’est très important pour moi, c’est un très grand honneur. Il m’a permis de m’immerger dans ce qui me passionne. Et puis Soulages, c’est quelqu’un qui, en une seule phrase, vous fait passer de 1947 à 2020 !

M.H. : Dès que j’ai pris mon poste à Montpellier, je l’ai rencontré. Mais je l‘ai beaucoup vu lors de l’installation des salles Soulages au musée Fabre en 2006-2007. On a alors eu une relation très proche.
Il est très physique, très charnel, il a une vision très claire de sa peinture et de la façon dont elle doit être montrée, mais avec une bonhomie et une simplicité qui vous mettent aussitôt à l’aise. Il est très accessible. Et il aime raconter. D’autant plus qu’il bénéficie d’une exceptionnelle mémoire.
Il vous raconte des événements qui vous replongent dans un temps immémorial, pendant la guerre, mais il n’est pas passéiste, il est dans le présent. Il se projette dans un temps très large. Il est à la fois l’instant et la mémoire.

Comment envisagez-vous 2021 pour Pierre Soulages et son œuvre dans les murs de votre musée ?

B.D. : Il y a le raccrochage, en janvier ou février, des deux salles outrenoirs avec les dernières donations. On travaille sur un parcours Pierre Soulages et l’Allemagne. Et il y a le projet d’une grande exposition au Japon pour 2022.

M.H. : On a repeint les salles Soulages, on vient de tout raccrocher. En 2021, je souhaiterais faire tourner la présentation des quelques dépôts que nous avons, avec l’accord de Pierre et Colette Soulages. Et j’aimerais l’inviter à déposer quelques toiles nouvelles pour que nous puissions faire un peu bouger l’accrochage, sauf les grands outrenoirs bien sûr. Pour faire vibrer et redécouvrir la collection.

À lire : le hors-série Midi Libre, "Pierre Soulages, le noir en lumière", en vente en kiosques et sur midilibre.fr (4,50 €, 180 p.).
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